Lâché par ses Strokes, l’icône absolue du néo-rock Julian Casablancas a fini par se résoudre à se lancer en solo. Nous l’avons rencontré pour un long entretien, fin octobre à L.A. : ses ressentiments, la crise de son groupe, ses évolutions intimes, son Phrazes for the Young, il raconte tout. (photos : David Balicki)
[attachment id=298]Quelle serait la leçon principale des dernières années, en particulier celles avec les Strokes ?
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J’ai appris des tonnes de choses. J’ai du mal à faire le tri pour trouver une leçon en particulier. Sur le plan professionnel et artistique, sur ma manière de concevoir et de faire les choses, je pense avoir les idées beaucoup plus claires, être mieux capable de définir l’endroit où je veux aller, la chose que je veux atteindre. Je sais mieux écouter mes propres envies, mes propres goûts, j’ai sans doute gagné en assurance. J’ai appris, aussi, à m’entourer de gens qui… comment dire… il y avait une citation de Mark Twain qui disait, en substance, qu’il fallait s’éloigner des gens qui essaient de rabaisser nos ambitions, mais qu’il fallait plutôt regarder un peu plus haut, et se dire que nous aussi étions capable de le faire.
Musicalement, comment tes goûts ont-ils évolué ?
Mes goûts sont désormais totalement hors de contrôle. Il y a trop de choses excellentes qui sortent, que j’entends, que j’adore. Je passe mon temps à utiliser Shazam (application sur téléphone mobile permettant de donner les références de n’importe quel morceau analysé), comme un dingue, dans la voiture notamment. Les choses ont vraiment changé à ce niveau là : quand j’étais plus jeune, et pour grossir le trait, il y avait Nirvana et Pearl Jam, Weezer, et basta…
Tu as justement une grande part de responsabilité dans ce mouvement, cette multiplication des groupes intéressants –du moins pour le rock. Tu es conscient de ta propre importance dans l’histoire récente de la musique ? Sans toi et sans les Strokes, le rock n’aurait peut-être pas survécu auprès du grand public…
(surpris) Vraiment ? (narquois) Ca me fait bizarre, ce que tu me dis. Mais j’aime ça. Continue à me parler comme ça, ça me flatte…
Sérieusement, tu ne te rends pas du tout compte de ça, du mouvement que les Strokes ont provoqué ?
Non. On a vendu pas mal de disques, mais je crois que nous sommes quand même restés sous le radar du mainstream. Je suis quelqu’un de positif : je crois que d’une certaine manière, nous avons atteint la taille la plus grosse qu’on puisse atteindre tout en restant plus ou moins souterrain. On n’a jamais brisé la barrière -et quand on y pense, c’est une position absolument parfaite. Le but ultime est de prendre les choses qui sont les plus cool, les plus étranges ou les plus intéressantes dans ce monde un peu en marge, et d’essayer de les dévoiler à un public le plus large possible. Mais il reste du boulot –quand j’écoute les radios les plus écoutées, je m’en rends quand même clairement compte. Le monde n’est pas fini, et il ne le sera jamais.
Mais même économiquement, même pour les labels, les Strokes ont réinventé le terrain rock…
Pour être totalement franc, j’attribue plutôt ça à Internet. Pas que je ne veuille pas qu’on me dresse des louanges, évidemment… (rires) Soudainement, tout le monde a eu accès à tout, et tout le monde a pu écouter tout ce qu’il voulait ; du classique, du jazz, du rock, du hip hop… Ca crée forcément des envies. Il y a quelques années, les labels choisissaient pour tout le monde la douzaine d’artistes qui devaient être célèbres. Aujourd’hui, tout le monde ou presque peut avoir son petit public, jouer quelques concerts, se faire connaître par des biais plus directs. Mais que les Strokes, à eux seuls, aient permis au rock de se relancer, je ne sais vraiment pas. Ce serait cool, évidemment. Mais pense au Velvet Underground. Le groupe a vécu modestement, s’est séparé sans fracas pour le grand public ; mais c’est quelques années plus tard que l’influence du groupe s’est réellement faite sentir, pour des dizaines d’artistes qui se réclamaient de leurs disques. Dix ans plus tard, il y avait une scène. Mais ça restait underground : le Velvet n’ont pas été les Stones, les Beatles ou Led Zeppelin, et la plupart de ceux qui ont suivi non plus. Je parlais avec un homme de radio l’autre jour, et on se demandait comment, parfois, des morceaux vraiment cool pourraient arriver en tête des charts –c’est quand même extrêmement rare. Et d’une certaine manière, ce serait effrayant, que seuls les bons films, les bonnes chansons aient du succès ; tout donnerait alors l’impression d’être sur le même niveau, et on n’aurait plus de raison de se battre… Bon, non, c’est une idée stupide. Je la retire. Ce serait quand même une peur assez positive, au final…
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