Avant la sortie événement de son second album solo et un concert attendu à la prestigieuse Salle Pleyel, retour sur l’improbable et passionnante trajectoire de la trentenaire new-yorkaise, de Chairlift à Ramona Lisa.
Voilà déjà quinze ans que l’on suit de près la carrière de Caroline Elizabeth Polachek, autrice-compositrice-interprète-productrice née le 20 juin 1985 à New York.
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De Chairlift à Ramona Lisa, de CEP à Caroline Polachek, sans oublier un nombre incalculable de featurings bigarrés (de Sébastien Tellier à Washed Out, de SBTRKT à Oneohtrix Point Never, de Violens à Charli XCX à Christine and the Queens, de Danny L Harle à Fischerspooner, de Blood Orange à Flume), personne ne pouvait prévoir sa trajectoire artistique, aussi sinueuse et surprenante que passionnante.
Et pourtant, Caroline Polachek est aujourd’hui l’une des stars internationales incontestées de l’hyperpop, qui commence doublement en fanfare 2023 avec un second album solo sous son nom propre, le successeur attendu de Pang (2019), et une tournée européenne qui l’emmènera jusque dans la capitale française et la prestigieuse Salle Pleyel le 18 février.
Amorcé par quatre singles successifs livrés à seize mois d’intervalle – l’aventureux Bunny Is a Rider, l’entêtant Billions, le rayonnant Sunset et le programmatique Welcome to My Island – et autant de tubes potentiels à la fois inventifs et syncrétiques (de la synthpop oblique de Bunny Is a Rider à l’excursion ibérique de Sunset), ce disque est incontestablement l’un des événements pop modernes de l’hiver. Ou comment se réchauffer de la saison des frimas tout en écoutant la pop du futur.
Parée pour les sommets
N’y allons pas par quatre chemins : Caroline Polachek est l’une des meilleures raisons de suivre l’actualité discographique. Car on le sait depuis des années, elle a tous les atours (talent inné, charisme insensé, boussole artistique insaisissable) d’une pop star internationale, alors continuons d’échanger avec elle, tant que l’ex-chanteuse de Chairlift est relativement accessible.
Puisque la New-Yorkaise parfaitement bilingue est encore trop retorse pour le grand public, trop habile pour le mainstream. Sauf qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’épigone de Pang n’est pas encore achevé. Tout juste a-t-on pu écouter deux morceaux supplémentaires (Pretty in Possible, dont on ne serait pas surpris·es que ce soit un prochain single, et Smoke), soit au total la moitié d’un album déjà marquant, donc mémorable.
Car sur Desire, I Want to Turn Into You (quel titre…), c’est Byzance ! Il suffit d’ailleurs de recenser les producteurs au chevet de ce disque plantureux, dont les boutures n’ont pas fini de nous/vous surprendre. Soit, dans le désordre, Dan Nigro, Danny L Harle, A. G. Cook, Jim-E Stack, tous les quatre figurant déjà au générique de Pang, et l’incontournable Sega Bodega (Shygirl, Oklou, FKA Twigs, Eartheater), cosignataire du tubesque Sunset pour leur toute première collaboration.
À la sortie du single à l’automne, Caroline Polachek s’enthousiasmait : “Un coucher de soleil est le plus grand cliché pop qui soit, car c’est une image parfaite. Ennio Morricone est décédé quelques mois avant que Salvador [Navarrete, alias Sega Bodega] et moi ne commencions Sunset, et le ton folklorique et épique du coucher de soleil du western spaghetti me trottait dans la tête. Je voulais un refrain d’opéra sans paroles, mais teinté d’une désillusion bien réelle : au-delà de toutes les distractions, impasses et fausses promesses du monde se trouve l’amour que nous prenons trop souvent pour acquis. C’est mon coucher de soleil.”
Éprise de liberté
C’est précisément en détournant un double cliché (le coucher de soleil et les guitares hispanisantes) que Caroline Polachek parvient à universaliser son répertoire pop, tout en le distordant dans des partis pris de production hybrides. Et il en va ainsi de chaque single dévoilé de Desire, I Want to Turn Into You, où elle s’échappe à chaque fois du style musical du précédent pour mieux rebondir et surprendre l’auditoire… Caroline Polachek ou la révolution solaire permanente.
À propos de Bunny Is a Rider, elle confiait sans ambages que “Bunny est glissante – impossible de mettre la main dessus. Peut-être que c’est un fantasme, peut-être que c’est une attitude. Mais tout le monde peut être Bunny, au moins pendant trois minutes et dix-sept secondes.”
Quand on vous parlait de sa boussole artistique insaisissable, en voici le discours de la méthode. Caroline Polachek chérit sa totale liberté depuis qu’elle s’est échappée définitivement de Chairlift, son tout premier groupe cofondé au mitan des années 2000 et avec lequel elle se fit connaître grâce à la scie synthpop Bruises en 2008 (souvenez-vous de la pub pour un fameux iPod nano de la marque à la pomme).
“Avec Chairlift, je parlais d’amour avec humour et distance, affirmait-elle dans les colonnes de Libération à la sortie de son premier album solo en octobre 2019. Avec Pang, je me révèle et plus rien n’est abstrait. J’ai beaucoup pensé à la notion de clarté pour ces chansons. Chairlift a été un groupe important dans ma vie, mais chaque projet dans lequel je me suis impliquée jusqu’ici avait été limité par son aspect conceptuel.”
Un temps, elle fut Ramona Lisa
Avant d’être débarrassée définitivement du carcan et des fourches caudines de la vie de groupe, Caroline Polachek se réinvente d’abord en 2014, entre deux albums de Chairlift, en Ramona Lisa, un pseudonyme qui laisse deviner chez elle des appétences extramusicales, posant dans le livret de l’album dénudée, de dos, un casque sur les oreilles et un laptop à portée de main sur un fond pictural champêtre, telle une (Ra)Mona Lisa des temps pop modernes.
Sur le splendide et surprenant Arcadia, l’Américaine se révèle alors tout autant metteuse en sons avant-gardiste que chanteuse féérique, ne s’interdisant aucune vocalise ni instrument acoustique, comme le violoncelle, dans un univers pourtant synthétique. “J’adore cette combinaison entre numérique et organique, reconnaissait-elle, toujours dans Libé. Je suis chanteuse, mais mon noyau, c’est les synthés, et cet album m’a préparée pour Pang. Ce genre d’exploration interne, psychologique et privée. Un piano n’autorise pas ça. Il fallait des sonorités plus virtuelles.”
Enfin prête pour son envol solitaire définitif après le split de Chairlift en décembre 2016, Caroline Polachek impose sa voix autant que sa voie sur Pang, un disque notamment porté par le single So Hot You’re Hurting My Feelings (qui cumule 10 millions de vues sur YouTube et plus de 75 millions d’écoutes sur Spotify).
Et si la pandémie freine fatalement la défense scénique de l’album, unanimement salué par la critique, Bunny Is a Rider replace Caroline Polachek au centre du planisphère pop international en plein été 2021. On connaît la suite, comme on vous la résumait plus haut. Alors, à quelques jours de la sortie digitale de Desire, I Want to Turn Into You, on prend d’ores et déjà les paris : 2023 sera l’année Polachek et mat.
Desire, I Want to Turn Into You (Perpetual Novice/The Orchard). Sortie digitale le 14 février, physique le 14 avril. Concert le 18 février à Paris (Salle Pleyel).
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