Edith crée son. Si la musique d’Edith Frost reste chaste comme chez le plus austère John Cale, le chant se charge de caresser les sens. Obligeant, le patronyme suggère un sésame ouvrant la vénérable caverne aux métaphores. Frost, soit le gel ou le givre, qui sur la pochette mange les contours d’un mystérieux gratte-ciel aperçu […]
Edith crée son. Si la musique d’Edith Frost reste chaste comme chez le plus austère John Cale, le chant se charge de caresser les sens.
Obligeant, le patronyme suggère un sésame ouvrant la vénérable caverne aux métaphores. Frost, soit le gel ou le givre, qui sur la pochette mange les contours d’un mystérieux gratte-ciel aperçu au travers d’un pare-brise hivernal. Pour peu que Calling over time soit un rien coquin, on entrevoit d’emblée un joli capital d’images ne demandant qu’à fructifier le feu couvant sous la glace, les braises taquinant la banquise, les chansons boréales irriguées d’un sang tropical. Figures imposées du discours critique en pilotage automatique, qui trouvent illico leur emploi dès la deuxième chanson, Follow, Edith Frost folâtre sur les sentes sensuelles au long desquelles on s’était habitué à suivre la chanteuse d’Elysian Fields. Entre de chastes gouttelettes au piano, la voix enjôleuse ondule du nombril : « Nous aurons des râles de plaisir, nous renoncerons à nous laver, nous ne ferons rien sauf l’amour… » Deux chansons plus loin, changement de cap sur l’envoûtant Denied, on chavire en compagnie d’une Lisa Germano envahie d’une langueur contagieuse. Mais jamais Edith Frost n’étale une tripotée de traumatismes ou des névroses à tire-larigot. Aux effets de signature voyants et aux tics tape-à-l’oeil, elle préfère les modulations discrètes, les éclairages diffractés. L’orgue ondoyant fait entrer le psychédélisme vagabond dans une chambrette d’amoureuse au coeur en berne (Wash of water), une guitare cristalline tire du blues des larmes lumineuses (Pony song), la country se décontracte, réchauffée par un soleil timide (Thine eyes). Conviés à explorer les mélodies mutines d’Edith Frost, les invités (presque) célèbres sont exemplaires de retenue. Rick Rizzo, d’Eleventh Dream Day, Sean O’Hagan, le mordu des Beach Boys en congé de ses High Llamas, et Jim O’Rourke (repéré, entre autres, au violoncelle fantaisiste sur un album réellement merveilleux, le Wild love de Smog) entrent en sympathie avec des chansons ajourées et silencieuses, qui chatoient au hasard des brises furtives. Edith Frost pourrait pourtant aisément se passer du séduisant écrin qu’ils tissent à ses compositions. Quand, seule, elle laisse s’ébrouer sa voix, l’effet est assez mirobolant : Albany blues, teinté de gospel, est un splendide cheval de Troie introduisant dans la forteresse indé les night-clubs d’Hollywood où Julie London, en fourreau lamé, enflamma autrefois Cry me a river. De gel et de lourdeur frigorifique, il n’est plus question : limpide et délectable, Calling over time fait l’effet d’un précieux verre d’eau fraîche dans la tempête du rock féminin tout en nerfs.
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