Insolent et engagé, le groupe de rap portoricain Calle 13 est devenu le porte-drapeau de la jeunesse en Amérique latine. Avis de tornade sur les festivals cet été. Critique et écoute.
L’embouteillage paralyse ce matinlà l’accès à Plaza Las Américas, le premier shopping mall des Caraïbes, à Porto Rico. Au milieu de la chaussée, sous l’oeil incrédule de la police et des journalistes, les demi-frères René “Residente” Pérez et Eduardo “Visitante” Cabra, respectivement rappeur et producteur du groupe Calle 13, distribuent quelques centaines de CD du single Tributo a la policía, qu’ils ont enregistré la veille en réaction à la mort d’un de leurs amis victime d’un contrôle d’identité trop musclé.
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Associé à une cote de popularité outre-Atlantique comparable à celle de Shakira, ce type d’opération militante fait de Calle 13 le trublion leader de la musique latine actuelle et la bête noire des autorités. Un paradoxe qui leur a permis de rafler une dizaine de Grammy Awards sans cesser de défier les catégories de l’industrie du disque, entre rap, world, pop et rock. Et qui, au lendemain du printemps arabe, a inspiré chez ses fans la création sur les réseaux sociaux d’internet d’un “Mouvement révolutionnaire Calle 13”, voué à la collecte de supports éducatifs pour les communautés les plus démunies en Amérique latine.
Le groupe surgit sur la bande FM portoricaine en 2005 avec Se Vale To-To, une parodie de reggaetón qui troque les poses de gangsters, associées à ce genre hybride de dancehall et de rap en espagnol, au profit d’un humour libidineux et grand-guignolesque. Ce premier succès est pourtant vite éclipsé par la polémique que provoque un autre morceau, Querido FBI (“Cher FBI”), diffusé cette fois sur internet. Dans cet hommage au leader indépendantiste portoricain Filiberto Ojeda Ríos, abattu deux jours plus tôt par des agents fédéraux lors d’une fusillade, Residente appelle les Portoricains à l’insurrection – ancienne colonie espagnole, l’île de Porto Rico a été cédée aux Etats-Unis en 1898 et en est un Etat libre associé depuis 1952.
“C’est devenu l’identité de Calle 13, explique le rappeur, un mélange de trivialité et de réalité, entre quelque chose de simple et léger et quelque chose de grave, qui t’oblige à te poser des questions. On n’aurait jamais fait le morceau pour Filiberto par calcul. Mes compatriotes sont fiers de leur drapeau, mais l’immense majorité ne croit pas à l’indépendance et n’adhère pas aux paroles de mes chansons.” De fait, le carton de leur premier album indépendant avait vite imposé le phénomène Calle 13 à l’échelle du continent. Signé par Sony, le groupe va étendre sa palette sonore en même temps que le champ de ses luttes au gré des trois albums suivants.
Le dernier en date, Entren los que quieran, épingle pêle-mêle le Vatican, l’industrie de l’armement ou la politique migratoire des Etats-Unis dans un cocktail incandescent de cumbia, hip-hop, merengue, rock (avec The Mars Volta), afrobeat (avec Seun Kuti) et musique andine (avec l’Afro-Péruvienne Susana Baca, la Colombienne Totó la Momposina et la Brésilienne María Rita, réunies sur l’hymne Latinoamérica). René Pérez, à qui ses détracteurs reprochent souvent de se contredire, y affine au passage sa stratégie : “Je m’en prends aux Gringos et suis sponsorisé par Coca-Cola/ J’entre dans le système pour l’exploser de l’intérieur/Tout ce que je dis est comme de l’aïkido, j’utilise en ma faveur la force de l’ennemi.” Même si vous ne comprenez pas l’espagnol, n’oubliez pas de lever le poing en vous déhanchant.
Yannis Ruel
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