A 26 ans, le rappeur queer au flow véloce fait danser en parlant de lui.
Avec ses poses de diva, ses yeux de biche et son rap sexuellement explicite, ce MC originaire du New Jersey et légèrement enrobé (d’où son nom de Cakes Da Killa, rapport à la taille de son booty) avait fait forte impression dès sa première mixtape, Easy Bake Oven, Vol. 1, parue en 2011.
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Un an plus tard, une presse musicale fainéante célébrait l’avènement d’une scène hip-hop queer dont le projet était de déniaiser le rap de ses réflexes virilistes, voire homophobes. Et de rapprocher idiotement Cakes Da Killa d’artistes aussi différents que Zebra Katz, Mykki Blanco ou Le1f sous la seule bannière (arc-en-ciel) de leur sexualité. Mais cette scène “rap gay” n’a en fait jamais existé, comme nous l’explique Cakes :
“On n’a jamais été une scène. Encore moins un collectif. On fait parfois des shows ensemble simplement parce qu’on nous regroupe sous la même étiquette. Il y a toujours eu des artistes queer dans le rap. On a juste été les premiers à avoir des papiers dans Rolling Stone ou à faire des tournées internationales.”
Tout raconter sans autocensure
Pas de Wu Tang gay, donc. Mais une galaxie éclatée de trublions queer dont Cakes Da Killa, de son vrai nom Rashard Bradshaw, serait le plus déluré. Son rap à lui parle des garçons, du goût qu’ils laissent dans sa bouche, des clubs où il danse, de son iPhone greffé à sa main. Cette frivolité donne Hedonism, titre de son premier album :
“Je veux décrire la vie comme une fête. Je veux explorer différentes choses sexuellement, musicalement, et le raconter sans autocensure. Un temps, j’ai dû me conformer à ce que mon mec, les médias ou les gens du rap pensaient de moi. Je doutais de moi en permanence. Suis-je assez bon ? Assez beau ? Puis j’ai réalisé : ‘Bitch, tu mérites tout ça !’ D’où le titre de l’album.”
Sur cet album, on croise les producteurs Noah Breakfast (Ty Dolla $ign, Santigold, Ellie Goulding), Jeremiah Meece (Mykki Blanco) ou encore Peaches, la reine de l’electroclash féministe, venue apporter son grain de folie sur Up out My Face.
Noir avant tout
Contrairement à la tradition du hip-hop, la musique de Cakes
Da Killa est dégagée de toute revendication politique. Le rappeur sèche ainsi sur place ceux qui aimeraient lui coller le dossard d’avocat
de la cause LGBT : “
J’utilise la musique comme une échappatoire aux tensions et à la négativité ambiante. Dans mes chansons, je parle de moi et il se trouve que je suis gay. Mais la seule chose que je revendique, c’est le droit de fuir toute cette merde. Ne comptez pas sur moi pour déblatérer sur Donald Trump sur mon prochain album. Récemment, on m’a reproché d’avoir dit en interview que même si Trump était président, je n’allais pas vivre dans la peur. ‘Comment tu peux dire ça alors que les droits des LGBT sont remis en cause ?’ OK mais je suis noir avant tout. Et pour nous, la situation n’a jamais été idyllique aux Etats-Unis.”
Cakes Da Killa est le champion d’un rap trépidant, sorte de croisement entre Missy Elliott et un Busta Rhymes gazé au poppers. Flow hystérique, infrabasses à large spectre et textures fortement influencées par la culture club : “Je peux donner dans le classique boom-bap ou ghetto mais je me suis épanoui dans les clubs et la disco-house. J’essaie de mettre au point une formule inspirée par le rap des années 1990 en y ajoutant des éléments plus dance.”
« Qui veut entendre Jay-Z parler de ses problèmes de riche? »
Une tambouille sonique qui colle parfaitement à la vie du rappeur, qui voit dans les clubs l’équivalent des églises pour la communauté gay : “En boîte, tu peux draguer, te faire des amis, t’habiller en drag, si t’es trans tu peux y trouver tes médocs…C’est pour ça que la fusillade d’Orlando a choqué des
tas de gens. Si on ne peut plus être nous-mêmes dans nos putains de clubs, où allons-nous aller ?”
Hedonism est un dédale de dance-floors moites, d’expériences sexuelles (comme Frostin’, qui selon son auteur narre l’immense volupté qu’on ressent “à se faire sucer par un mec plus viril que soi”) et de quelques rares moments de douceur (Tru Luv). Le tout porté par une plume crue et incisive qui rassure, à l’heure où l’on apprend que les tauliers du rap de stades comme Drake ou Kanye West n’écrivent pas toujours leurs textes :
“Moi, j’écris ma propre musique. Mais les gros disques de rap aujourd’hui sont rarement écrits par une seule personne. Ce sont des œuvres collaboratives. Ça me fout la haine quand les mecs ne font même plus l’effort d’écrire un ou deux morceaux sur leur album. Mais après tout, qui a envie d’entendre un mec comme Jay-Z nous prendre la tête avec ses problèmes de riche ?”
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