Depuis dix ans, le Chinois Cai Guo-Quiang pratique un art explosif à base de poudre et de mèches. Des uvres spectaculaires où se cachent critique politique et signaux adressés à l’univers.
Les gens se souviennent de mes pièces, mais jamais de mon nom », déclare Cai Guo-Quiang. Pourtant, à 43 ans, l’artiste chinois n’est pas un inconnu. L’année dernière, avec Doug Aitken, il a partagé le prix international de la Biennale de Venise. Depuis une dizaine d’années, il organise sur les façades des grandes cités internationales d’immenses scénographies éphémères, composées de poudre à canon incendiée.
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Né en 1957 dans la Chine de Mao, en plein Grand Bond en avant, Cai Guo-Quiang a dès son enfance fait de la résistance intellectuelle : « Le système scolaire chinois imposait aux jeunes gens d’aller dans les campagnes pour être rééduqués par les fermiers. J’ai refusé ce principe, et je suis allé dans le monde du théâtre où j’ai appris à fabriquer des décors. » Puis l’Histoire bascule, Mao Zedong meurt, la Révolution cède la place à une ouverture culturelle, et Cai Guo-Quiang décide de quitter son village natal. « A ce moment-là, je n’avais qu’une idée en tête : étudier au département des Arts de la scène de l’Ecole de théâtre de Shanghai qui venait d’ouvrir. » De 1981 à 1985, il suit un cursus formaté par le réalisme social : « L’école chinoise faisait partie du modèle russe. Tous mes professeurs avaient suivi l’école russe de peinture à l’huile, une peinture marquée par la propagande. » Il apprend néanmoins le vocabulaire et les techniques de ses futures installations : « C’est dans le milieu du théâtre que j’ai appris le travail d’équipe. J’étais confronté à des problèmes qui ont présupposé le travail d’installation technique que je fais aujourd’hui. »
Mais le jeune Cai Guo-Quiang est en mal de voyages, d’exotismes, et fait un séjour au Tibet : « La Chine n’était pas encore ouverte à ce moment-là, on ne pouvait pas sortir du territoire, alors, pour aller aussi loin que possible à l’intérieur du pays, le Tibet semblait une bonne destination. La culture tibétaine est très différente de celle de la Chine. Le voyage occupe une place importante dans ma vie, c’est une sorte de tunnel dans le temps : on peut voyager dans différentes cultures, donc dans des temps différents, et finalement éviter les choses désagréables du moment présent. »
Jusqu’ici, Cai Guo-Quiang ne s’est toujours pas trouvé plastiquement. Pourtant, il vient de mettre au point une astucieuse découverte qui va bouleverser sa carrière : remplacer les pigments de peinture par de la poudre à canon qu’il incendie. « Rétrospectivement, je peux avancer deux raisons qui expliquent mon goût pour la poudre à canon. La première, c’est que ma ville natale est réputée pour sa production de pétard. Pour des événements tristes ou gais, on fait toujours exploser des pétards, ça sert à exprimer des sentiments… D’autre part, ma ville natale est la ville la plus proche de Taïwan. Et quand la Chine était en conflit avec Taïwan, il y avait des échanges de tirs de canon. Tout cela m’a impressionné. Aujourd’hui, en art contemporain, on est toujours en train de chercher de nouveau matériau, moi je voulais quelque chose qui puisse exprimer l’accident en même tant que l’explosion expressive. Petit à petit, la poudre est devenue la matière idéale. » En Chine, Cai Guo-Quiang est un artiste underground. Voyant qu’il n’aurait aucun avenir dans son pays, appuyé par des amis bien placés, il part pour le Japon en 1985. « Les Japonais étaient intéressés par l’art traditionnel chinois. Mais très vite, cette étiquette m’a collé à la peau et j’ai dû trouver mon chemin dans l’art contemporain. »
S’appuyant sur ce qu’il nomme le « désir de relation cosmique » propre à la culture japonaise, il met en place en 1989 les Projects for Extraterrestrials, une série de projets consistant en une succession d’explosions de grande envergure, dont l’objectif est d’émettre des signaux destinés à l’univers. La Fondation Cartier expose les paravents réalisés en 91 sur lesquels il a écrit et dessiné ses projets. D’apparence austère et minimaliste, comme des parchemins géants échappés d’un musée de l’homme, « ces paravents, explique le critique Fei Dawei dans le catalogue de l’exposition, sont des produits de propagande destinés à faire connaître ses idées et à collecter les fonds nécessaires à la réalisation de ses projets ». Ainsi muni de son codex d’artificier, Cai Guo-Quiang, prêt à tout embraser, entame une série d’ uvres éphémères, spectaculaires et symboliques, car sous l’explosion se cache un geste politique : « Quel que soit l’endroit où je me trouve, je porte toujours un regard critique. » Il allonge la Grande Muraille de Chine en incendiant des mèches et de la poudre sur une longueur de 10 kilomètres. A Johannesburg, en Afrique du Sud, de la poudre et des mèches sont mises à feu sur la façade d’une centrale électrique. « Pendant l’apartheid, c’était le symbole du pouvoir blanc. Mandela limitait les attentats aux sites économiquement vitaux. Cette centrale n’a jamais été détruite, alors je l’ai détruite symboliquement, mais d’une manière bien particulière : les explosions ont produit sur les vitres une série de trous formant un arc-en-ciel, en hommage à la formule de Mandela, « Construire un pays arc-en-ciel ». » A la question « Quelle est l’image qui symbolise le mieux le xxe siècle ? », Cai Guo-Quiang répond « un nuage atomique beau et massif ». Parti aux USA, en solo, il produit de micronuages atomiques à New York entre Manhattan et la statue de la Liberté… Une série de clichés provocateurs accrochés sur la façade de la Fondation Cartier. En juin, lors de la prochaine Biennale de Lyon, il proposera un jeu aquatique où le public devra intervenir. « Ce n’est pas un abandon de la poudre incendiée. En art, on peut tout utiliser, l’important, c’est l’histoire et la culture : mes uvres sont des ready-made culturels. »
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