Bourré de mauvaise foi acide ou l’argumentation aiguisée comme un scalpel, un rédacteur des Inrocks démonte chaque semaine un disque ou un artiste que ses collègues adorent. Cette semaine, JD Beauvallet s’en prend à Chris Martin de Coldplay.
Je m’attendais à un majordome fairtrade, mais non, c’est Chris Martin qui vient m’ouvrir : je suis invité dans sa maison tout en bois flotté et matériaux de récupération, dans un quartier hors de prix de Londres, où l’on arrive par une station de métro avec escalator en or. En pénétrant sur le plancher fait en cagettes de fraises d’une fermette bio du Luberon, il me fait un signe : chez Coldplay, on enlève ses chaussures.
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Ça tombe plutôt mal : j’ai un trou dans ma chaussette. Surexcité à cette vision, il appelle sa femme, qui applaudit en trépignant et en poussant des petits cris américains. Visiblement, à la prochaine tea-party, il sera question de cette mode venue de France – l’orteil gauche libéré du joug du coton, dans un acte forcément politique. La maison, au bordel savamment organisé par un architecte d’intérieur qui a fui la dictature d’un îlot du Pacifique dont je n’ai jamais entendu parler, a le bon goût humble et grave d’un showroom de pompes funèbres de Bel Air.
C’est si propre qu’on s’assoit par terre : Gwyneth sort d’un réfrigérateur taillé dans un chêne du Dorset centenaire l’apéro maison. C’est de l’eau. Oui, mais pas n’importe quelle eau : un truc imbuvable, venu du pied d’un volcan d’Islande à dos de poney, puis en pirogue amazonienne jusqu’à un port high-tech de la Tamise. Elle a le goût des larmes et du pétard à mèche : comme si un dégueulasse avait pété dans un quart Vichy. On me fait comprendre que la bouteille est hors de prix : à ce tarif, j’aurais préféré un clos-vougeot, mais visiblement, ici, l’alcool, on ne le tolère que dans la cabane du jardinier, un Chilien pochetron qui a fui l’an passé le régime de Pinochet.
Je ne dis rien : ils ont l’air si fiers de leur vaste entreprise de sauvetage d’âmes, de leurs trophées au mur de la bonne conscience qu’il ne sert à rien d’y introduire un peu de réalité et d’histoire. C’est une Angayarkanni qui sert le repas : des feuilles d’arbre rare cueillies à la trompe par des éléphants d’Asie, puis macérées dans du lait de panda. Gwyneth me dit qu’en tamoul angayarkanni signifie “aux beaux yeux de poisson”. Ça vous botterait, vous, qu’on dise devant chaque invité que vous avez un regard de tanche ?
On ne parle pas de musique avec Chris, ça doit lui rappeler le bureau ; il veut pourtant que je lui chante en espagnol des refrains des Brigades internationales, car ça sera le thème du prochain album de Coldplay : “Tu vois, les Brigades, mais en lutte désarmée contre les grosses sociétés qui polluent la vie et la tête, contre les méchants qui s’habillent en tergal, enfin tu vois le pitch, quoi.” Je vois : les yeux s’ouvrent, enfin. Je ne mangerai plus jamais de kebab après 4 heures du matin : ça provoque des cauchemars, voire des délires.
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