Ex-propriétaire gérant de la maison Byrds, grande fontaine d’eau pure à laquelle se sont abreuvés tant de bons, de REM aux Smiths, Roger McGuinn se penche sur son passé sans en faire un plat.
C’est un dimanche d’hiver typique à Los Angeles. Le ciel est clair, l’air sec et craquant, le soleil ne plombera qu’à partir de midi. Un lieu et une matinée idéale pour écouter les Byrds et interroger leur fondateur. L’homme qui apparaît au bar de l’hôtel porte bien sa quarantaine bien sonnée : mince et élancé, chemise et jean noirs, boots en peau de serpent. Je serre la main des accords en cascades de M. Tambourine man. La voix de Eight miles high me répond, « Hi, how ya doin ? » Malheureusement, Roger McGuinn est surtout désireux de vendre son correct et anecdotique album solo. En liaison permanente avec son manager, talkie-walkie en main, il livre poliment mais sans passion le service minimum sur l’histoire des Oyseaux. Il n’a pas spécialement envie de s’éterniser avec ce Frenchie qu’on lui a balancé dans les pattes entre une entrevue avec Rolling Stone et une apparition chez Johnny Carson. Au bout de 55 minutes chrono, il m’interrompt : « Il nous reste cinq minutes, si tu me posais des questions sur Back from Rio ? »
Eh bien, allons-y.
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Ces derniers temps, le milieu musical a commencé à mieux accepter mon style. Mon dernier album était celui avec Chris Hillman et la tournée s’était mal passée : trop de tension, pas assez de plaisir. J’ai donc décidé de tourner tout seul, acoustique. L’idée m’est venue en papotant avec Ramblin Jack Elliott sur la Rolling Thunder Review de Dylan et il me racontait comme c’était agréable, relax, de jouer solo et acoustique : pas de contraintes, pas d’amplis à trimbaler, on joue dans les petits endroits, on se sent plus libre. J’ai donc décidé que je n’avais plus besoin de me farcir un groupe, des contrats et tout le tintouin. Je n’avais qu’à prendre ma guitare sous le bras et jouer au hasard des étapes. C’est ce que j’ai fait et ça m a beaucoup plu.
Il y a beaucoup d’invités célèbres sur l’album. Tom Petty semble un choix presque trop évident.
Nous sommes très liés depuis que j’ai repris son American girl en 76. Il y a quelques années, nous étions sur une plage de St Petersburg, Floride, il me racontait qu’il allait tourner en Europe avec Dylan et j’aurais donné cher pour être à sa place. Finalement, il a demandé à Bob s’il pouvait m’emmener et Bob a accepté. Nous avons donné une trentaine de concerts en 87. Pendant un jour de repos en Suède, je triturais ma guitare jusqu’à trouver une suite d’accords et une ébauche de mélodie. Tom m a rejoint, on a travaillé sur le texte et c’est devenu King of the hill, une chanson sur les pièges du succès, la mégalomanie. Evidemment, Tom était influencé par les Byrds, j’entendais beaucoup de choses très familières dans American girl. Mais il a montré par la suite qu’il suivait sa propre route, qu’il ne se contentait pas de copier les Byrds. C’est un bon copain, je suis heureux de jouer avec lui, c’est tout ce qui me préoccupe. Il y a aussi Michael Penn qui possède une très belle voix et un excellent jeu de guitare douze cordes.
Et qu’est-ce qui vous intéressait chez Elvis Costello ?
C’est avant tout un ami. On s’est rencontré pour la première fois à La Nouvelle-Orléans quand il est venu me voir backstage à Storyville (célèbre club de jazz) et le courant est tout de suite passé entre nous. Nous nous sommes revus en Californie où je l’ai accompagné sur This town, de son album Spike. Et puis nous avons jammé sur scène à Boston. Je lui ai alors demandé s’il n’avait pas une chanson à me filer. Il m a répondu que non, mais qu’il en écrirait une spécialement pour mon album. J’ai attendu et n’ai plus eu de ses nouvelles pendant un moment. Jusqu’au jour où nous nous rencontrons par hasard dans l’aéroport d’Atlanta. Je lui ai demandé ma chanson et il ne l’avait toujours pas écrite. Il avait la mine d’un gosse qui n’a pas fait ses devoirs. Il est retourné en Irlande, il a pondu la chanson, puis il me l’a envoyée, accompagnée d’une longue lettre expliquant exactement de quoi elle parlait. You bowed down raconte l’histoire de deux amis qui grandissent ensemble et décident qu’ils ne feront jamais de concessions dans la vie. Petit à petit, l’un des deux courbe l’échine tandis que l’autre reste fidèle à ses principes. Costello souhaitait un croisement de Positively 4th Street et My back pages. Il voulait atteindre ce genre de… tranchant !
Costello peut-il représenter aujourd’hui pour vous ce qu’était Dylan il y a vingt ans ?
Assurément, il a suivi les traces de Dylan et repris le flambeau. Il possède quelques-uns des points forts de Bob et les utilise dans son propre songwriting. Il a les mêmes capacités pour écrire des chansons complexes et transformer sa colère en mots incisifs. Ses textes évitent toujours le simplisme et la facilité, ils sont très tortueux, très intelligents… Et pas toujours faciles à saisir, même pour quelqu’un de langue anglaise.
Vous avez également collaboré activement au coffret Byrds.
La maison de disques a décidé de lancer ce projet il y a environ deux ans. Ça a pris un peu de temps à cause de problèmes internes. Finalement, ils ont créé un sous-label, Legacy. Dans le passé, j’avais déjà travaillé avec Don DeVito, le responsable du projet. Il m a appelé pour être consultant musical de cette rétrospective. J’ai tout de suite donné mon accord car je tenais beaucoup à la qualité du coffret. C’était une excellente idée de leur part de venir me trouver, je crois que j’étais le mieux placé pour accomplir une telle tâche. L’idée du coffret ne vient donc pas des Byrds mais de la maison de disques.
Vous-même n’aviez jamais eu l’idée ou l’envie d’un tel projet ?
Pendant un bon moment, je n’avais plus rien à voir avec le business du disque. Je ne pensais plus du tout en termes de disque, de contrat et l’idée d’un coffret ne me serait jamais venue à l’esprit. Par contre, quand il m ont appelé, je n’ai pas hésité. Je n’avais aucune appréhension à aller déterrer mon passé, j’étais aussi excité par les Byrds que n’importe qui. Bien qu’ayant été impliqué dans cette aventure, j’écoute les Byrds comme j’écoute les Beatles ou Costello, pour le plaisir de la musique, d’une bonne chanson. Travailler sur ce coffret, c’était un peu comme feuilleter un vieil album de photos de famille : c’était assez plaisant, parfois même émouvant. Et puis on se souvient soudain de choses que l’on avait oubliées. Tiens, j’ai composé ce morceau !?? (Rires)…
Quand vous avez formé les Byrds, aviez-vous dès le début une ambition, un projet grandiose ?
Oui, si on veut. Nous étions complètement inspirés par les Beatles et nous voulions être les Beatles à la place des Beatles. Mais nous avions une formation et des racines folk, c’était donc difficile d’être exactement les Beatles (rires)… On s’en est bien sortis : sans le faire exprès et de façon tout à fait ingénue, nous sonnions comme des Beatles injectés de folk américain, ce qui était nettement plus personnel et préférable. Et puis, il y avait Dylan. J’ai tout de suite repéré le fossé entre John Lennon et Bob Dylan et j’avais envie de combler ce fossé. J’ai pensé qu’il serait intéressant de chanter Dylan à la manière des Beatles, de fusionner en quelque sorte le meilleur des deux mondes. Les textes brillants d’un côté, l’électricité et les mélodies pop de l’autre. C’était là l’idée forte des Byrds et j’ai essayé de l’appliquer autant que possible dès
M. Tambourine man, notre premier single.
Tout de suite, des lignes de force vous distinguaient. D’abord, votre apparence, vos vêtements…
Au tout début, nous portions des costumes, d’après une idée de notre manager. On nous les a volés : à la place, on a donc porté nos habits, jeans serrés, boots anglaises, les petites lunettes carrées pour moi… Quand on a raconté ça aux Beatles, ils nous ont enviés : Ah, si on pouvait aussi nous voler nos costumes !? (Rires)… Mais nous voulions ressembler aux Beatles, d’où nos fringues à l’anglaise, nos coupes au bol et jusqu’à nos instruments. Nous nous sommes donc procuré une batterie Ludwig, des guitares Gretsch, des Rickenbaker… La seule chose que nous n’avons pas eue, c’est la basse Hoelfner en forme de violon.
Justement, parlons des Rickenbaker.
Les Beatles les utilisaient avant nous. Moi, de par ma formation folk, je jouais souvent de la douze cordes acoustique, puis ensuite, électrique. Au moment de me mettre à l’électricité, j’ai vu George Harrison jouer de la Rickenbaker douze cordes dans le film Hard day s night. A la sortie du film, je suis allé direct m’en acheté une. Tout me plaisait dans cette guitare : son look, très élégant, très original à l’époque et puis bien sûr, le son. Un son magnifique, très pur, très cristallin. Ça tintait, presque comme des cloches d’église.
Pourtant, des musiciens utilisaient les Rickenbaker avant vous et ne possédaient pas ce son, ce fameux jingle-jangle qui est devenu votre sceau.
Notre son venait de la Rickenbaker, mais aussi de ma façon d’en jouer qui était différente. Avec la guitare électrique, j’utilisais la technique du banjo, en arpèges, c’est-à-dire que j’utilisais tous mes doigts. Au lieu de plaquer des accords au médiator, je pinçais chaque corde avec chaque doigt. C’est ce qui donnait ces gerbes de notes tintantes. Par ailleurs, je traficotais mes micros pour prolonger les notes, ce qui donnait cette sensation d’écho, de résonnance. Le son Byrds tenait donc dans une combinaison d’éléments divers : les Rickenbaker, la technique folk, les bidouillages. J’ai fini par demander à Rickenbaker de me fabriquer le modèle McGuinn, avec tous les bricolages inclus dans la guitare. Tout ceci ne concerne que les guitares. Dans le son Byrds, il ne faut pas oublier les mélodies, les harmonies vocales, la basse de Chris, etc. C’est seulement après Tambourine man que nous avons pris conscience de notre alchimie parfaite. Quand nous avons été numéro un avec ça, nous savions que nous avions trouvé la bonne combinaison. Nous, nous aimions notre son dès nos débuts, mais la réaction du public nous a montré que nous n’étions pas les seuls.
Ce succès immédiat, c’était une surprise ?
Oui. Une bonne surprise, je précise. Avant, nous étions à la rue, nous n’avions pas un rond. Tambourine man a changé tout ça, pour le mieux. C’est vrai que le succès nous est tombé dessus très vite, mais si j’avais à revivre cette période, je ne refuserais pas ce succès ultra rapide. Même si c’était difficile d’avoir 20 ans et d’être numéro un, de devoir affronter la pression d’un succès international, c’était quand même excitant et le plaisir l’emportait sur les inconvénients. Le business de la musique ressemble à un parcours de montagnes russes. Quand on va très haut, très vite, après, on ne peut que redescendre. Et la chute peut être très douloureuse, il faut être préparé, se munir d’un blindage. Moi, je suis déjà bien content d’avoir été au moins un court moment au sommet. Que voulez-vous, la vie est souvent douloureuse, ce n’est pas toujours la grande rigolade et le bonheur sans nuage, tout le monde sait cela C’est comme ça, que puis-je ajouter ? Je suis satisfait de l’histoire des Byrds, je n’y retoucherai pas.
Finalement, aucun des membres des Byrds ne venait du rock.
C’était assurément une très bonne chose. Quand nous nous sommes essayés au pur rock’n’roll, nous ne savions pas vraiment en jouer et ça
a donné le folk-rock, c’est-à-dire une nouveauté, un son neuf. Accidentellement, nous avons inventé quelque chose, ce qui était nettement préférable que de copier Elvis ou les Beatles note pour note. J’avais fait mes dents en solo dans les coffee-shops et en accompagnant des gens comme Bobby Darin ou Judy Collins. David Crosby avait joué dans des groupes de folk très commerciaux. Chris Hillman venait des Hillmans, un groupe de bluegrass. Gene Clark venait d’un groupe folk assez connu, les New Christy Minstrels. Quant à Michael Clarke, il ne venait de rien du tout (rires)… Il avait une belle petite gueule. Quand nous l’avons rencontré, il jouait des congas dans la rue…
Les Byrds venaient donc du folk. Ça a plu aux folkeux quand vous vous êtes mis à l’électricité ?
C’était une décision assez osée pour nous. J’en avais eu l’idée quand je travaillais avec Bobby Darin. Il ne jurait que par le rock’n’roll. Il me serinait sans cesse rock’n’roll ceci, rock’n’roll cela … Par ailleurs, la musique folk commençait à devenir cette chose énorme et commerciale, ce n’était plus la musique séduisante qui m avait enchanté au début. Vous savez comment deviennent les choses quand tout le monde s’y intéresse, c’est comme un bateau trop chargé qui commence à couler. Voilà à quoi ressemblait la musique folk vers
63-64. Nous avons donc sauté du bateau et nous avons nagé jusqu’à une île qui était le rock. L’île de roc, quoi. Je ne prêtais aucune attention aux jérémiades des milieux folk. Une fois, je suis tombé sur un article de Tom Paxton qui qualifiait la musique des Byrds de folk-rot (folk pourri), ce qui fait plutôt sourire. Après nous, Dylan a rencontré le même genre de problème quand il a électrifié sa musique et il a réagi de la manière qui convenait, par un haussement d’épaules. Il a également écrit My back pages, que nous avons repris par la suite. A ce propos, Dylan adorait notre version de Tambourine man. Il venait souvent nous voir en répétitions, nous lui jouions des reprises de ses morceaux et il était très intéressé. Souvent, il ne reconnaissait pas ses uvres, chamboulées qu’elles étaient par un son et un beat différents. Un jour, il nous demande C’était quoi, ça ?? Je lui réponds All I really want to do Et lui J’ai écrit ça ?!? Il était éberlué par ce que pouvaient devenir ses chansons.
Vous avez débuté en pleine british invasion. L’Amérique souffrait-elle d’un complexe musical vis-à-vis de l’Angleterre ? Etiez-vous la réponse américaine aux Beatles ?
C’est ce que certains ont dit. Surtout quelques journalistes en mal de formules et certains promoteurs de nos concerts qui voulaient faire mousser notre nom. Les gros slogans attirent le public. Mais nous, nous ne pensions jamais en ces termes. Nous admirions les Beatles et ils sont devenus nos amis. Nous ne voulions certainement pas être en compétition avec eux. Ils jouaient de la musique, nous aussi, c’est tout. Nous étions tous des fans de musique, c’était là que résidait le fondement de notre relation, il ne s’agissait pas d’un concours.
Et c’était la même chose avec les autres. Nous étions potes avec les Stones, les Lovin’ Spoonfull, les Turtles… On se voyait chez nous, on faisait la fête, on jouait de la guitare… Ces histoires de rivalité entre groupes n’avaient aucune espèce de réalité, il s’agissait d’inventions pures et simples qui arrangeaient bien la presse et les gens d’affaires.
En ce qui concerne la supposée rivalité entre les Etats-Unis et l’Angleterre, si ce problème existait, c’était celui d’autres personnes, pas le mien. Je n’ai jamais fonctionné en termes de pays, de frontière. La musique est un langage universel au même titre que la peinture. J’aimais les Beatles pour leur musique, pas parce qu’ils étaient anglais,
je ne me posais même pas cette question. Les artistes et les musiciens forment une grande communauté dans laquelle on n’a pas besoin de montrer son passeport. La musique n’est pas un championnat de foot, c’est juste… de la musique.
Quel était le rôle des Byrds dans toute la scène du Sunset strip ?
On faisait partie de tout ça. On habitait pas loin de Sunset et on traînait souvent dans les boutiques et les coffee-shops du coin. On jouait dans les clubs de Sunset et des environs, au Troubadour, à Ciro s. Nos bureaux étaient sur Sunset, pas loin du Whisky à gogo… Le Sunset strip était le pôle d’attraction de tout ce qui se passait à l’époque. Aujourd’hui, ça a bien changé. Il ne se passe rien de comparable à ce
qui se passait il y a vingt ans. Il y a toujours beaucoup de clubs, mais je ne distingue aucune scène musicale digne d’intérêt, aucun mouvement comparable à ceux des sixties. Quand je vais au Troubadour ou au Whisky, je ne retrouve pas du tout la magie de l’époque.
La drogue jouait un rôle capital dans les sixties. Chez les Byrds aussi ?
On fumait de l’herbe comme pratiquement tout le monde, mais ça s’arrêtait là. La drogue n’était pas très importante chez les Byrds, elle jouait un rôle mineur dans notre processus créateur. Beaucoup de gens associent Eight miles high à la naissance du psychédélisme. Eh bien, c’était involontaire. Cette chanson ne raconte pas un trip d’acide, mais tout simplement un voyage en Angleterre par avion. Pour certains groupes, notamment les Doors ou les Seeds, la drogue était plus que de la drogue, elle constituait un mode de vie, une religion. Pas pour nous, j’en prenais un peu, rien de sérieux ou de dangereux. La drogue passait après la musique. Et je ne crois pas que les drogues nous aient aidés dans notre musique. Peut-être qu’à l’époque, on s’imaginait que la drogue élargissait notre vision, développait notre énergie créatice. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que c’était un leurre. L’absence de drogue ne nous aurait pas empêchés de créer Eight miles high ou Fifth dimension. Eight miles high raconte donc un voyage en avion, Fifth dimension parle de surnaturel, de Dieu. Ça, c’est encore plus important que la drogue (rires)… Aujourd’hui, la drogue a l’air out. Tout le monde dit non à la drogue. Moi, je pourrais dire que j’ai expérimenté les drogues, qu’elles ne m ont pas apporté grand-chose et que surtout, j’ai vu beaucoup de gens mourir de ça. Prendre de la drogue n’est pas la meilleure idée pour passer le temps, voilà ce que je dirais aujourd’hui. D’ailleurs, je n’y touche plus.
A partir de Fifth dimension, votre musique a évolué. Vous ne vouliez pas demeurer un simple groupe pop à succès ?
Oui, nous avons commencé à intégrer la musique indienne ou bien John Coltrane, dont l’influence est évidente dans Eight miles high. Nous étions totalement conscients de ne pas vouloir nous enfermer dans un seul style musical. Nous ne voulions pas nous contenter de jouer du folk-rock, de n’être que des interprètes de Bob Dylan, même brillants. Nous ne voulions pas rester pour toujours un jingle-jangle band. Nous souhaitions essayer d’autres musiques, élargir notre champ. Il nous fallait surprendre le public, attraper les gens à gauche quand ils nous attendaient à droite. Nous nous sommes donc mis à bouger dans toutes les directions musicales possibles…
Dans le même temps, votre line-up s’est mis à varier sans arrêt. Etait-ce les changements de personnes qui induisaient les changements musicaux, ou le contraire ?
Les deux étaient interconnectés. Par exemple, nous avions expérimenté le country-rock avant que Gram Parsons nous rejoigne. Mais une fois dans le groupe, c’est lui qui nous a poussés à faire un album entier de country (Sweethearts of the rodeo). Sans lui, nous ne nous serions jamais lancés dans une telle aventure.
Finalement, pourquoi Gene Clark, qui a formé le groupe, a-t-il quitté les Byrds ?
Gene avait des problèmes personnels. Notamment, il avait la phobie des avions, il ne pouvait pas voler. C’était gênant pour un membre des Byrds (rires)… Nous sommes restés en bons termes. D’ailleurs, il est même revenu dans le groupe pour une très courte période, mais il ne pouvait toujours pas dominer sa peur des avions. Quant à David Crosby, il avait aussi de sérieux problèmes personnels et il devenait de plus en plus difficile de travailler avec lui. A un moment donné, Chris Hillman et moi-même avons conclu que nous ne pouvions plus bosser avec lui et lui avons demandé de quitter le groupe. Ce fut une décision très difficile à prendre, mais au point où nous en étions, nous n’avions plus d’autre solution. C’était très triste. Et ce n’était pas du tout à cause d’un désaccord sur la chansonTriad comme l’a prétendu une certaine rumeur.
Avec tous ces changements, pourquoi avoir maintenu les Byrds à flot ?
Je ne sais pas. J’ai juste continué. J’engageais de nouveaux musiciens, je leur apprenais les chansons et on continuait. Il y avait aussi tous ces agents et promoteurs qui avaient des engagements sur des dates de concerts et qui nous obligeaient plus ou moins à respecter ces engagements. Le business a certainement contribué à prolonger la durée de vie des Byrds. Je n’aimais pas toujours ces changements. Pour être très franc avec vous, mon rêve aurait été de conserver la formation originale. Encore que j’adorais Clarence White, un ami très cher et l’un des meilleurs guitaristes que j’aie connus.
Etes-vous totalement satisfait de la discographie des Byrds ou existe-t-il un album que vous n’avez pas eu la possibilité ou le temps de réaliser ?
J’avais un projet avant Sweethearts of the rodeo. Il s’agissait d’un double album qui aurait inclus toute la musique américaine. Je voulais y présenter la musique des origines, l’évolution du folk, la façon dont la musique est arrivée en Amérique, les transformations qu’elle a subies dans les collines des Appalaches en devenant le bluegrass, puis les étapes du bluegrass au hillbilly, du hillbilly au rockabilly, du rockabilly au rock’n’roll, sans oublier de l’autre côté, le blues, le jazz, le rhythm’n’blues, tout ça en allant jusqu’à la musique psychédélique et électronique… Je voulais vraiment réaliser l’album encyclopédique et panoramique de la musique américaine, c’était très ambitieux. Et puis en considérant l’ensemble de l’ uvre des Byrds, je me suis rendu compte que nous avions pratiquement accompli ce projet, sauf que c’était sur l’ensemble de notre discographie. Finalement, ce fameux double album n’était pas nécessaire. Sinon, pour répondre complètement à votre question, la seconde partie de notre carrière (après l’album Fifth dimension) n’était sans doute pas aussi intense, pleine et réussie que la première, mais je trouve quand même que nous avons fait beaucoup en très peu de temps. La durée des Byrds était assez courte par rapport à l’impact que le groupe a eu. Le grand public connaît surtout la période des hits, Tambourine man, Turn turn turn, Eight miles high… mais les fans purs et durs connaissent aussi très bien d’autres albums comme Sweethearts ou Notorious Byrds bros.
Pourquoi avoir changé de prénom, de Jim à Roger ?
Dans les sixties, j’ai expérimenté une religion orientale et le changement de prénom était censé activer de bonnes vibrations dans mon esprit et mon inconscient. Quand j’ai fait le changement, j’ai fait courir un bruit comme quoi j’étais vraiment Roger et que mon frère Jim était parti à Rio. D’où le titre de mon nouvel album, Back from Rio.
Et pourquoi Byrds avec un Y ?
Pour attirer l’attention, pour laisser planer un peu de mystère. D’autre part, bird sans le Y est un terme d’argot anglais pour fille . Nous ne voulions pas nous appeler Les Filles. Et puis les Beatles avaient bien transformé le mot beetle. C’était donc aussi un hommage voilé aux Beatles.
Etes-vous conscient de l’impact des Byrds sur l’histoire du rock ?
Tout à fait. Je m’en rends compte quand j’entends des gens comme Tom Petty ou REM qui, de toute évidence, nous doivent beaucoup. Et puis nous venons juste d’être intronisés dans le Rock’n’roll Hall of Fame, ce qui semble attester de notre importance. C’est très agréable, même si l’esprit du Hall of Fame est un peu contraire à l’esprit du rock. Le rock n’était pas fait au départ pour devenir une institution. Mais le Hall of Fame aura eu un mérite cette année : les cinq Byrds originaux se sont réunis pour jouer Tambourine man, Turn turn turn et Feel a whole lot better. Ne serait-ce que pour cette raison, ça valait le coup d’y être. Nous étions tous très heureux de nous retrouver, c’était très chaleureux, très émouvant. Nous n’avons aucun plan de reformation. Ça reste une possibilité dans le futur mais rien n’est définitivement décidé.
Quelles étaient vos relations avec le business ?
Il y avait beaucoup de pressions sur nous, mais je crois qu’il en allait de même pour tous les jeunes groupes de cette époque. Notre contrat avec cbs stipulait que nous devions pondre un disque tous les six mois environ. C’était beaucoup, mais nous étions jeunes, bourrés d’énergie.
Vous êtes nostalgique des sixties, de votre jeunesse, de vos heures de gloire ?
Alors là, pas du tout ! Je ne donne pas dans la nostalgie, je suis très bien dans ma peau aujourd’hui et je jouis à fond du présent. Les sixties étaient formidables, pas de doute là-dessus, mais elles ne vont pas m’empêcher de vivre le présent. C’est le passé, moi, je vis aujourd’hui. Je suis toujours autant passionné de musique et j’écoute de tout, pourvu que ce soit bon : du jazz, de la musique classique, du country, du rock… Je regarde même MTV. J’essaye de garder les oreilles et l’esprit ouverts. Parmi les choses récentes, j’ai bien aimé Suzanne Vega, Tracy Chapman, MC Hammer… J’aime toujours Neil Young, les Traveling Wilburies, REM. Vous voyez, j’écoute beaucoup de choses. Certaines ne devraient pas vous surprendre : Suzanne Vega, Tracy Chapman sont proches de ce que je joue et de mes racines. Par contre, vous ne vous attendiez peut-être pas à ce que je vous cite MC Hammer. Ce qu’il fait est très musical. Vous savez, le rap est une forme actualisée du folk, c’est juste une version moderne du bon vieux talking blues. Je sais que les gens de ma génération n’aiment pas trop le rap, eh bien, ils ont tort. Il existe des tas de bons trucs. Il sort tellement de disques chaque jour qu’il est possible que je loupe de très bonnes choses.
Les Byrds auraient-ils pu être anglais ou étaient-ils fondamentalement américains ?
La meilleure chose que nous ayons léguée au rock est ce mélange de folk et de rock’n’roll. Si nous avions vécu en Angleterre, je suppose que nous serions anglais, mais en ce cas, nous n’aurions pas injecter le folk dans notre musique, nous aurions joué de la pure pop anglaise. Ce sont les racines folk qui nous rendent tellement américains. Remarquez, votre question n’est pas si incongrue, beaucoup d’Américains s’imaginent encore que les Byrds étaient anglais. Souvent, je rencontre des gens et quand je leur apprends que je faisais partie des Byrds, ils écarquillent les yeux : Vraiment ! Mais les Byrds étaient anglais, n’est-ce pas ?!? (Rires)… Les bases folk, le sens de l’espace et de la lumière dans notre son font des Byrds un groupe immanquablement américain.
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