Considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs freestylers français, Busta Flex nous reçoit dans son studio pour nous raconter son parcours : les soirées au Globo, NTM et son amour du hip hop.
Lino racontait récemment dans une interview à l’Abcdrduson qu’après son album « Quelques gouttes suffisent » avec Arsenik, il avait tapé « tellement haut », que c’était devenu difficile car il n’avait jamais pu regagner ce niveau de visibilité. Est-ce que tu as ressenti la même chose ?
Non, je n’ai pas couru après. J’ai eu des scores très honorables, pas des disques d’or mais je m’en suis bien sorti. Mon deuxième album (« Sexe, violence, rap et flooze ») fait 75 000 pour un 8 titres. Mon troisième (« Eclipse ») a fait environ 80 000. Il avait grave marché car j’avais Skyrock derrière moi. J’ai toujours fait des gros scores. Il n’y a que le quatrième, (« La pièce maîtresse ») qui n’a pas du tout marché. J’ai eu des problèmes dans ma carrière. j’avais envie de changer de style, j’espérais que mon public me comprenne et me suive. J’avais un peu peur, de leur donner un truc qu’ils n’aiment pas. Mais j’aime tellement la musique que j’ai toujours cherché à évoluer. Je ne pouvais pas continuer à faire des sons comme dans les années 90 juste parce que les gens s’accrochaient à ça.
Lorsque tu sors ton premier album à 20 ans, tout le monde imagine que tu vas dominer le rap game durant une décennie. Qu’est-ce qui a cloché selon toi ?
Quelque part sans prétention, je n’ai peut-être pas dominé le rap français pendant 10 ans mais j’ai été bien présent. Les gens le savent et s’en souviennent. J’ai accompli ma mission. Quand tu vois tout ce que j’ai fait à mon âge, ce que j’ai vécu, etc. Franchement il n’y en a pas beaucoup qui ont eu la chance de vivre ça.
Tu penses que si tu étais né aux Etats-Unis, tu aurais connu un plus grand succès ?
Je pense ouais. Je me suis toujours dit, « Si tu as percé en France, tu aurais pu percer aux Etats-Unis« , c’est juste la langue qui change, il y a tellement plus de facilités là-bas. SI tu réussis en Amérique, tous les pays anglophones te suivent, forcément tu as plus d’impact.
Comment avez-vous créé IV My People ?
Ca s’est fait naturellement. On trainait beaucoup ensemble avec Kool Shen et Zoxea, au studio. A force, Kool Shen s’est dit qu’il fallait qu’on monte notre propre label. On l’a fait en 1998.
Pourquoi tu décides de quitter ce collectif précipitamment un an plus tard ?
Oui, c’est vrai que l’expérience a été de courte durée. J’avais ce souci d’exister par moi-même. Mon premier album était produit par Kool Shen, puis il y a eu l’aventure IV my people, j’avais besoin de briller en solo. A la même période, je renoue contact avec des mecs de mon quartier qui me présentent le Comité de Brailleurs. Une rencontre décisive pour moi car on allait former un vraie équipe. J’allais pouvoir faire ce que je veux avec eux. La séparation avec IV my people s’est bien passée, ils ont été déçus, ce qui est plutôt normal, mais rien de grave.
Il n’y a pas eu de problèmes ?
Des petites piques c’est normal mais rien de méchant, pas de bagarres, pas d’embrouilles, pas d’appels ou de menaces, rien qui m’aurait fait me sentir mal. Si tu savais aujourd’hui, c’est la fête en nous, c’est encore mieux qu’au début. On a fait des choses ensemble, on a du vécu. J’étais là avec Zoxea et Lord Kossity, en 2008, quand NTM est remonté sur scène.
Tu trouves que NTM a bien fait de revenir ?
On en avait besoin ! Les critiques, c’est normal. Les gens disaient que c’était pour l’argent. En vérité, ils avaient juste envie de faire des scènes. A partir de là, quand tu as envie et qu’un public est demandeur, tu ne peux qu’y aller. Tu connais beaucoup de groupes en France qui ont fait cinq Bercy d’affilée ?C’est une performance de fou, 10 ans après le dernier album, tu te rends pas de compte ! Il y a des critiques ? Mais c’était rempli ! Les gens ont kiffé, c’était un challenge et ils ont réussi.
De ton côté, tu entres dans une période ou tu multiplies les collaborations ?
Oui, je suis libre (rires) ! On était au début des années 2000, les gens n’osaient pas trop avant ça, on était bien servis pas nous-même. On avait une équipe de choc. Ils ont vu que j’étais beaucoup plus accessible et on m’a lancé beaucoup d’invitations. Comme sur Première Classe 2, boum disque d’or ! La BO de Taxi, etc. Ça marchait grave. J’étais quasiment le rappeur du moment. Ma couleur musicale, personne ne la ramenait à l’époque et aujourd’hui, pareil ! Moi je ne me suis jamais caché d’être influencé par le rap US. Par l’entertainment tout ça. Moi depuis le départ je veux faire danser les gens, depuis le départ je rappe sur des BPM (battement par minute),qui sont assez accélérés, je ramène des trucs qui groove, de l’electro. Je prends des risque car j’aime la musique.
On sent que tu as toujours eu la volonté de proposer un truc différent ?
Moi c’est ce que j’ai toujours voulu, c’est me diversifier. Je suis un fan de musique, un vrai. Quand je suis invité et que ça me donne de l’exposition, forcément je suis content. Parce que je me dis que je vais pouvoir être connu, pas pour vendre des disques mais pour faire passer ma musique simplement ! Et qu’on se dise, « j’aime bien ce qu’il fait ». On aura toujours quelque chose à conquérir, c’est ce challenge-là qui me fait kiffer.
Avec quel rappeur regrettes-tu de ne jamais avoir collaboré ?
Redman. On l’a fait mais par studio interposé seulement. Le morceau n’est jamais sorti mais on l’a fait. C’était pour un label qui s’appelle Scorpio Music, un label électro. Après, ce qui me plairait c’est d’avoir des prods de Jay D ou Black Milk. Je suis fan des beatmakers américains.
Qu’est ce que tu penses de la nouvelle génération ?
J’aime bien, ils ont moins froids aux yeux que nous, ils sont plus « rentre-dedans ». Ce qui me dérange dans cette évolution, c’est qu’on ne ressent plus d’esprit hip-hop, c’est que du rap. Les jeunes ne s’intéressent plus aux autres disciplines : le graff, le djing et le breakdance. Il n’y a plus la culture… Pour eux le Wu Tang c’est old school, alors que pas du tout ! C’est bizarre.
Pourquoi ?
Ça ne les intéresse pas. Il y a une tendance très française de se dire : « Nous aussi on sait le faire, on a pas besoin d’eux. » Alors qu’on s’inspire d’eux sans arrêt en ce qui concerne le hip hop, mais à notre manière, c’est à dire qu’on ne le reconnaîtra jamais directement (sourire). C’est la même mentalité qui pousse les jeunes à dire, « on nique tout, on nique les anciens ». Alors que le rap, c’est nous. Les mecs oublient qu’ils seraient pas là si on avait pas fait le taff avant. Il faut respecter ça. Et c’est ce petit truc là qui manque, il y a du respect, mais ils n’ont pas de bouteille ! C’est des petits jeunes qui chantent, sans rien derrière. Ils ne sont pas passionnés par ce qu’ils font.
Qu’est ce que tu penses du succès d’un mec comme Kaaris ?
Je ne pensais pas qu’un rap aussi « vrai », puisse fonctionner. Je pense qu’il s’est fait plaisir à faire ça. Il a été au bout de son univers, il a proposé son truc aux gens et ils ont répondu présent. Le mec a fait son truc du mieux qu’il pouvait. On ne le connaissait pas et ça a marché donc bravo. Ça force le respect.
Et Joke ?
Ah oui Joke. Je ne suis pas fan, c’est très impersonnel tout ça. Dès que la musique démarre et qu’il rappe, ce n’est pas lui que tu entends. Je ne vous dirai pas qui (sourire). Je pense que vous le savez. Il rappe comme un autre mec dont on vient de parler. En fait, quand tu écoutes Joke, tu entends Therapy. C’est pas que je n’aime pas mais je n’accroche pas, je ne lui lance pas de piques mais je connais pas assez bien. J’attends.
T’es sur le clip de Lino, « La douzième lettre », vous êtes proches ?
On se connait depuis très longtemps. On a fait des scènes ensemble, c’était en 94-95 ! C’était à l’université de Saint-Denis, il y avait des grands concerts de rap organisés. Il y avait déjà Arsenik et même Casey. On s’est recroisés dans d’autres projets, on a gardé le contact. Son morceau, c’est un hommage au rap français, il a toujours représenté ce rap lourd, à thème. Ce morceau est super dangereux. C’est ça qui est fort. Le clip aussi est tellement fort qu’en le regardant, tu n’arrives pas à comprendre ce qu’il dit, mais quand tu écoutes tout, tu deviens dingue.
Pour Koma le rap français, c’est le 93 et le 18e arrondissement de Paris, t’es d’accord ?
Je vais te dire, il n’a pas tort, un groupe comme Assassin a tout niqué dans le 18eme. Apres dans le 93, NTM s’est occupé de tout même au niveau du graff, ils ont tout retourné. Mais je rajouterais le 94 quand même, Lionel D de Vitry, c’est un pionnier, il est très important. Il a fait émerger énormément de rappeur : les Little MC, Timides et sans complexe. Il faut rajouter le 94.
Tu penses quoi des récents clashs dans le rap français ?
J’ai connu la même chose mais il n’y avait pas encore Internet. Les gens étaient moins au courant des choses. Il y a toujours eu ce degré de violence. Aujourd’hui, tu as des gens qui ne réfléchissent pas et prennent partie. C’est grave. Les clashs, je m’en fous, les mecs peuvent ne pas s’aimer, on s’en fout. C’est quand le public s’en mêle que ça devient dangereux. Partout, ils y a des règlements de compte, à l’école, dans les gares, c’est ça qui est vraiment dangereux.
Tu écoutes quoi aujourd’hui ?
De tout ! Du rap, c’est ce que j’aime le plus. Mais si j’avais pu faire autre chose, comme apprendre le solfège, je l’aurais fait. J’écoute de tout, vraiment de tout ! De la chanson française : Pauline Croze, c’est très fort, ses albums sont une boucherie. Moustaki, Aznavour, Brel, je ne suis pas un original. « Les bourgeois » de Brel, écoute le sample, c’est « Le zedou » ! Un clavecin de dingue ! « Le zedou part 2 » c’est un sample d’Aznavour ! Il y a des samples dans les variétés française, c’est un truc de fou ! Les gens ne se rendent pas compte.
On sent que la musique est capitale pour toi…
Que ce soit triste ou festif, j’aime toucher les gens. Si tu arrives à les toucher, tu peux te dire que tu as accompli ta mission. Tous ces artistes qui arrivent à nous faire danser ou à nous toucher, à nous marquer… C’est ça le but, on ne peut pas vivre sans musique. Un artiste, c’est quelqu’un qui arrive à marquer quelque chose en toi, qui fait que ça folie va te toucher à ton tour, quand tu vas l’écouter. Après, il y a un travail d’introspection à accomplir, tout le monde n’écoute pas de la musique de la même manière. Parfois on peut passer à côté d’une super instru. Mais quand tu arrives à toucher le grand public, chapeau. C’est là que la musique prend toute son ampleur. Moi je suis pour la culture populaire, pas commerciale mais populaire. Tous les artistes qui chantent pour les foules, qui font des chansons d’amours… Il ne faut pas forcer le message, il ne faut pas faire de l’engagé pour faire de l’engagé. Tu peux chanter sur tes chaussettes, si c’est bien fait et que ça me parle, c’est gagné. Je découvre tout le temps des choses. Je ne les écoutais pas avant, « Cécile, ma fille » de Nougaro par exemple, le texte, j’en suis devenu fou ! Balavoine pareil, il a des chansons de dingue !
Pourtant tu as toujours privilégié la forme au détriment du fond ?
Je connais mes lacunes. J’ai été au rendez-vous sur les morceaux à thèmes que j’ai fait, toujours. Ça n’a jamais été ma priorité parce que ça m’ennuie, j’ai toujours préféré la forme au fond car dès que je commence à mettre du fond, j’en perd la forme. J’aime la performance, jouer avec les mots. On perd du sens à mettre trop de formes. Je préfère l’égo-trip. Je ne suis pas un rapport qui veut dénoncer. Quand j’aurais envie de dire des choses, je les dirai. Mais ce n’est pas dans ma démarche, je veux avant tout amuser les gens.
C’est ta marque de fabrique, l’efficacité ?
En terme de rap, je les défonce tous ! Après s’il faut préparer un thème et tout, il y en a qui le font mieux que moi. Il y a des rappeurs qui vont te dire, « non je ne peux pas rapper, j’ai mal à la gorge ». D’autres qui te font tout un cinéma, des mecs connus ! Moi je suis un vrai rappeur, je les défonce, depuis toujours je les défonce. Je suis un performeur, un mec du hip-hop. Je vais mourir pour ça mec. Ça fait longtemps que j’ai commencé, j’ai vécu pas mal de choses. J’ai fait beaucoup de sacrifices pour cette musique.
Propos recueillis par Julien Rebucci et David Doucet