Le rap absurde, chercheur et mutant du passionnant Californien Busdriver, très fâché avec les petites frontières, qui sample Can, revendique l’influence de Belle & Sebastian ou joue avec Islands.
[attachment id=298]Le Californien Busdriver, à l’évidence, est aujourd’hui au volant d’un colossal et pourtant félin 4×4 qui s’adapte, diaboliquement, à tous les terrains avec une adhérence insolente : d’un folk oriental et synthétique (Manchuria) à un sprint ahurissant sur la Marche turque de Mozart (l’absurde Me – Time, single éthylique mais athlétique), il rappe avec une gourmandise et une absurdité égales dans toutes les positions, même les plus insolites et inconfortables.
Après plus de quinze ans d’activisme infatigable dans les tréfonds du hip-hop underground, en tant que grande gueule, producteur ou invité surprise (on le retrouva jusque dans la pop agitée des Canadiens d’Islands), Busdriver reste dur à suivre, à prévoir, à anticiper – des qualités devenues si rares dans le rap US, où une formule gagnante peut devenir un métier. Parolier digne de Jarry pour son absurdité déglinguée, revendiquant l’influence de Blonde Redhead ou Belle And Sebastian, samplant Can ou des dialogues punk d’Emilio Estevez, et invitant ici le chanteur de Deerhoof, ce jeune Black n’a jamais choisi la facilité, la carrière.
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Oui mais voilà : plus motivé par les progrès du hip-hop que par ceux de son compte en banque, il s’est engagé depuis huit albums dans une fascinante croisade, qui passe par un total décloisonnement des possibles et par un songwriting d’une exigence rare. Sur un précédent album, il rappait même, résigné mais amusé : “Je vends plus de disques en France qu’aux States.” Sans l’aide de Skyrock, on vous le garantit : ce hip-hop mutant a résolument plus à voir avec l’OuLiPo qu’avec Difool, avec Queneau que Kanye… Busdriver a enregistré en collectif son premier album à 13 ans et, dans sa tête, rien n’a vraiment changé : c’est la même impatience, la même gourmandise, la même innocence qui ordonnent à Jhelli Beam le surpassement, voire l’émerveillement. Un devoir de surprise qui peut rendre l’écoute de ce gigantesque kaléidoscope un peu éreintante, avec ces milliers d’idées en rafales, ces beats qui refusent de s’aligner sagement, ces paroles insensées, plus postillonées que rappées…
Qu’on se méfie quand même de ces têtes chercheuses, de ces têtes brûlées irrécupérables : un jour, elles finissent parfois têtes de gondoles. Ce qui est arrivé à son ancien complice Danger Mouse, aujourd’hui star de Gnarls Barkley ou Gorillaz. L’anonymat commence à être un costume un peu étroit et injuste pour ce Busdriver, en route pour le futur.
Album : Jhelli Beam (Anti/PIAS)
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