Vieilles branches et jeunes pousses rendent hommage à Buddy Holly sur un album de reprises bigarrées. Critique et écoute.
Ce n’est pas tous les jours qu’un Beatle de 69 ans est surpris en train de faire le fou comme un gamin de 11. Mais quelle mouche a donc piqué Paul McCartney pour qu’à la fin de It’s So Easy il divague et bêtifie, entre euphorie pubère et syndrome Gilles de la Tourette ? Quelle mouche ? Ou quel cricket, cet étonnant épisode concluant l’une des dix-neuf reprises de Buddy Holly par autant d’interprètes réunis sur cet album d’hommage au plus illustre binoclard de l’histoire du rock’n’roll, qui aurait fêté ses 75 ans en septembre prochain sans ce fatal accident d’avion survenu le 3 février 1959.
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Pour ceux qui l’ignorent, le groupe de Holly s’appelait The Crickets. Il suggéra leur nom aux Beatles (beetle = scarabée, get it ?) qui apprirent leur art en assimilant une par une ses chansons. Ils n’ont repris que Words of Love, sur leur album Beatles for Sale, mais l’ensemble de leur oeuvre porte profondément sa trace. Autre preuve de cet ascendant, Holly inspira le nom d’un groupe anglais des années 60 presque aussi connu, les Hollies, dont l’un des chanteurs, Graham Nash, clôt en beauté ce recueil à la fois enthousiasmant, désarmant et bâtard, tout en fragiles abandons et brutaux ramonages.
S’y rassemble autour d’un répertoire, qui de fait n’a plus vraiment d’âge, une famille improbable, bien que cohérente, allant des vieilles branches (McCartney, Nash, Reed, Patti Smith) aux bourgeons à peine éclos (She & Him, Justin Townes Earle, fils de l’outlaw Steve Earle). Mais aussi les Black Keys, Julian Casablancas, Florence & The Machine, Cee Lo Green, My Morning Jacket… On le voit, Holly est le buddy (pote) à tout le monde.
En fait, on a presque tous quelque chose en nous de Charles Hardin Holley, jeune échalas texan affligé de myopie et d’un sourire un peu niais qui a posé les fondations d’un art populaire toujours renaissant avec ce mélange de candeur et de grâce qui contribue à son éternité. Ce disque illustre la parthénogenèse du rock, presque son immaculée conception. Holly étant l’une des cellules souches comme on dit dans les laboratoires. Dans sa musique se trouve l’essentiel de ce qui va rendre le genre si attractif : le primitif et le bubblegum, le beat sommaire et l’harmonie raffinée. Moins le sexe que la romance.
L’autre intérêt de cette collection est qu’elle aura obligé certains de ses contributeurs à une passionnante régression émotionnelle. Mort à 22 ans, Holly incarne à jamais l’innocence du rock, son romantisme virginal. Il est celui qui, dans la vraie vie, demanda Maria Santiago en mariage lors de leur premier rendez-vous, qui dans ses chansons susurre d’une voix à peine muée des choses comme “il pleut dans mon coeur”, ou dans Crying, Waiting, Hoping – relu ici par l’(ex)-épouse de Jack White, Karen Elson – dit espérer trouver cet amour “si rare, si vrai”.
C’est sans doute à l’impossibilité d’interpréter ce répertoire sans se délester du cynisme qui nous gagne que ce recueil doit sa réussite, qu’il célèbre, de façon hétérogène mais sans nostalgie, l’éternelle jouvence du rock. Et qu’un Beatle, presque septuagénaire, amoureux et bientôt (re) marié, fasse encore le fou comme hier sur la “colline”.
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