En deux ans à peine, Bruno Peinado, 31 ans, a déboulé librement dans le paysage artistique français avec des peintures néo-pop, des dessins post-punks et des pochettes de disques retournées. Une expo parfaitement mal foutue à Paris, des badges multicolores en cartons d’invitation : rencontre avec le moins complexé des nouveaux artistes français.
G roove-mixer : peinture disco à paillettes, pochettes retournées d’AC/DC, Tina Turner, Kraftwerk ou Amii Stewart, wall-drawings où les figures maquillées de Kiss se juxtaposent aux lettrages noirs du rock gothique, mais aussi à l’art minimaliste, aux Simpsons et à la bière Beck’s, recyclage effréné de logos technoïdes en 3D, de graffitis hip-hop et de culture skate… Pour Bruno Peinado, « le monde est pop », haut et bas, low and high, wasp and black. A l’image de sa joyeuse version négro du bibendum de Michelin, « comme un pneu rechapé ». Une sorte d’autoportrait : colosse aux cheveux crépus, à l’aise dans un amas dépareillé de vêtements streetwear, Bruno Peinado pratique sur lui-même comme dans son uvre un métissage explosif des logos, des codes et des couleurs. « Je suis un bâtard, un Martiniquais du Périgord, un mélange d’Antilles et d’Afrique du Nord, de Caraïbes et d’Espagne : je n’ai pas d’origine contrôlée. »
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Pourtant, l’artiste ne se contente pas de mélanger les images du monde, pubs, logos, slogans et star-people qu’il croise dans les magazines et qu’il s’approprie à tour de bras, il les retourne aussi, les peint à l’envers. Une manière pour lui d’entrer dans la grande fabrique des images, de participer au déferlement visuel, mais une façon surtout de créer un temps d’arrêt, de surprendre nos zappings continus : « Il y a une vieille pub Herta qui sert souvent de métaphore à ce que je fais, on y voyait un petit garçon construire des barrages sur une rivière. Ça n’empêche pas l’eau de couler, mais ça forme un léger remous, une agitation inattendue dans un coin retranché. C’est une façon de participer à l’ordre du monde, mais sans naïveté, ça me permet d’être dans le flux des images, mais aussi de pointer des choses. » Un geste simple, une libre manipulation qui place le spectateur dans l’envers du décor, et donc de l’autre côté de la machine à spectacle : « On peut aussi se souvenir que les peintres utilisaient un miroir pour contrôler la composition de leurs tableaux. Je réutilise ainsi une technique de la peinture ancienne. »
Pas gêné pour un sou, le bougre s’inscrit pleinement dans une génération d’artistes qui fait preuve, face au grand art pictural, d’une totale absence de complexes : refusant toute idée mystique de la peinture, mélangeant l’art conceptuel et la publicité, le minimalisme et les Jackson Five, reprenant à son compte la cuisine du pop-art, Peinado ne s’embarrasse d’aucun modèle et d’aucun mythe, convoque toutes les références pour n’en garder aucune : « Ma logique est celle de la créolisation, du métissage, le monde est une collision d’images. J’ai dans l’idée de casser la pureté. » Preuve de détente, son expo à la galerie Loewenbruck ne ressemble en rien à ce qu’on attendrait d’un jeune artiste faisant sa première exposition personnelle dans une galerie parisienne : s’éloignant d’un environnement savamment conçu, Peinado a procédé au mieux à un simple accrochage, au pire à un lâcher inorganisé de toiles et d’objets. « J’ai pas mal réfléchi, ça me posait un vrai problème, d’autant que la galerie Loewenbruck, avec son parquet verni et son exiguïté, rendait impossible toute expo logistique. Au final, je m’en suis foutu et j’ai profité de la petitesse du lieu et de son allure bourgeoise pour casser la logique du white cube, de l’expo aux murs blancs comme un loft underground, et j’ai simplement posé des uvres. Ça ressemble plus à un show-room qu’à une exposition. » Autre exemple frappant, la récupération d’un phénomène idiot et sans gravité : le retour du badge, revival eighties d’une adolescence passée à se pincer le torse, et le sac US.
Peinado a chopé la tendance en regardant simplement autour de lui, et chez lui le badge devient carton d’invitation, supportant dès lors toutes les esthétiques : des couleurs fluo et psychédéliques, un slogan allemand « anti-alles », une poubelle Macintosh… Freestyle donc : embrassant le plus de choses possible, adoptant toutes les esthétiques, dédicaçant à ses amis des fausses planches de skate, Peinado n’est peut-être pas le premier skateur adepte du dessin (et rien ne dit qu’il sache plancher), mais certainement le premier peintre dans l’histoire de la glisse, surfant dans les images, et parfois à remonte-pente, pour en tirer de bien jolies figures.
D’autres fois, passant de la glisse au réseau, Peinado fait le portrait de ses amis. Pour cela, il discute d’abord avec eux, les interroge longuement sur leurs goûts musicaux, leurs lectures, leurs souvenirs visuels. Puis vient le wall-drawing : à partir du portrait en pied de la personne choisie, Peinado procède par associations, compose sur les murs un réseau de dessins d’objets, de textes, de formes, le paysage intérieur de l’ami remplissant bientôt toute la salle d’exposition, « comme un polaroïd géant ». Si parfois, à force de glisser sur les goûts et les couleurs, Peinado donne l’impression de faire encore ses gammes, voire de surfer sur les tendances, coincé entre le néo-pop et le graphisme pointu du magazine Crash, dans ces wall-drawings éphémères il donne en revanche toute la mesure de son talent, cartographies de l’autre, et de soi en creux, où l’amitié est vécue et restituée, comme le partage, autour d’un livre ou d’une musique, d’un espace commun.
Impossible dans ces conditions de ne pas évoquer la fameuse et vibrante scène nantaise à laquelle il est aujourd’hui rattaché. Après Montpellier, et des années de lycée passées dans un atelier d’artiste que lui prêtent les artistes proches de Supports/Surfaces, après Lyon, « à l’époque où l’école des beaux-arts était comme à l’abandon, avec de vieux professeurs, mais où l’énergie ne venait que des étudiants », Bruno Peinado arrive à Nantes et participe pleinement à l’essor continu d’une scène nantaise très active, regroupée autour de l’Erban (le post-diplôme de l’école des beaux-arts), de Patrice Joly et de sa Zoogalerie, et soutenue par le Lieu Unique. Entouré d’artistes comme Virginie Barré, Alain Declercq ou Christelle Familiari, Peinado relativise pourtant le phénomène nantais : « Ce n’est pas Rome, mais plutôt un non-lieu, pas franchement une jolie ville, pas très marquée culturellement. Ce n’est pas Paris, et ça offre un regard décentralisé, sympa et simple. C’est une base, mais je n’y passe pas ma vie. Ce n’est pas une scène, mais des amis qui vivent entre eux et s’activent. Il n’y a rien à revendiquer. » En toute décontraction.
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Bruno Peinado, galerie Loewenbruck, 40, rue de Seine, 75006 Paris. Tél. 01.53.10.85.68. Mardi-samedi, 14 h-19 h. Jusqu’au 10 mars.
Egalement à Nantes, Demain les chiens, à la Zoogalerie, jusqu’au 17 mars. Tél. 02.40.35.41.55.
Bruno Peinado/Virginie Barré, galerie Françoise Vigna, 3, rue Delille, 06000 Nice. Tél. 04.93.62.44.71.
Et encore deux wall-drawings dans l’exposition collective Friends organisée par Pierre Ardouvin, galerie Chez Valentin, 9, rue Saint-Gilles, Paris iiie. Tél. 01.48.87.42.55. Jusqu’au 3 mars.
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