Le boss en solitaire sur la scène du grand Bercy : un cinéste à mi-chemin entre George Lucas et Monte Hellman.
Huit ans après « The Ghost of Tom Joad », Bruce Springsteen repart sur les routes en solitaire et passait non plus au Zénith mais à Bercy. Les craintes inspirées par les proportions de la salle furent vite dissipées. Le boss possède les épaules, le coffre et le répertoire suffisamment costauds pour habiter seul une arène de 15 000 places et la transformer en théâtre intimiste. Sans compter que son public est prêt à le suivre au doigt, à l’œil et au médiator près. L’appréhension de quelques longueurs devant l’austérité du programme (deux heures et demie seul sur scène) s’est également vite oubliée : par rapport au Tom Joad Tour, le Bruce a varié l’instrumentation et les arrangements. Orgue, grand piano, petit piano Honky Tonk et une infinie variété de guitares (une véritable expo vintage) ont aidé le boss à tisser une tapisserie musicale riche et nuancée. Springsteen a aussi appris à jouer du micro comme d’un instrument en soi, l’utilisant parfois comme un cinéaste use de la profondeur de champ, s’éloignant ou se rapprochant, créant des variations d’intensité ou d’échos assez bluffantes. Mais l’essentiel demeure les chansons : un mix des toutes dernières, rehaussées par l’incarnation live (« Devils & Dust », « Matamoros Banks », « The Hitter » deviennent instantanément de nouveaux classiques) et de pépites extraites de toutes les strates du répertoire et repolies à volonté (« The Promised Land » méconnaissable, tout ralenti et désossé, « Point Blank » et « Racing in the Streets » à faire pleurer les morts, un « Cadillac Ranch » amaigri et véloce à faire danser les morts’). Ces histoires d’onc’ Bruce se sont conclues par une reprise tout bonnement géniale du « Dream baby Dream » de « Suicide ». Springsteen a toujours été bifide, moitié George Lucas moitié Monte Hellman. D’un côté, le chef de bande enjoué capable de lever les foules avec ses hymnes chromés comme des Chevrolets. Ce soir-là, c’était l’autre Bruce qui officiait, le cowboy taiseux et mélancolique qui vous murmure ses versets désenchantés de l’Amérique ordinaire au creux de l’oreille. Mais même celui-là reste capable de sourire et de soulever Bercy d’un coup de médiator. Tant que Springsteen donnera de tels concerts, en se renouvelant dans la continuité et l’intensité, il durera. Et notre admiration aussi.
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