Trish Keenan, chanteuse merveilleuse des terriblement sous-estimés Broadcast, l’un des meilleurs groupes britannique des 15 dernières années, nous a quittés ce matin. Hommage et vidéos.
On a beaucoup, depuis hier, écouté Broadcast. On s’est un peu naïvement octroyé le droit de croire, pour une fois, aux « forces de l’esprit ». Ou un truc du genre, appelez ça comme vous voulez : on a pensé que se lover dans la voix de Trish Keenan, le bide plein d’angoisse mais les yeux levés vers ces cieux infinis qu’elle semblait scruter en permanence, aiderait d’une manière quelconque la jeune femme à retrouver la lumière. Tristesse infinie : la chanteuse de Broadcast, en lutte pour la vie depuis plus de deux semaines, a définitivement expiré son dernier souffle ce vendredi matin dans la chambre glauque d’un hôpital britannique triste.
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On toujours a beaucoup écouté Broadcast. C’est peu dire, d’ailleurs : on n’a jamais, jamais cessé d’écouter Broadcast. Par plein beau temps ou dans la bruine, dans les abysses ou sur le toit du Monde, le sourire fier ou le cœur brisé, toujours, toujours, toujours, comme le corps a besoin d’air et comme l’âme ne peut se passer cœur, toujours, toujours, toujours on a laissé Trish Keenan souffler le chaud et le glacial sur nos humeurs et nous enlacer dans les siennes propres. Depuis Work and Non Work en 1997, première compilation de maxis diamantaires, première collection de pop juvénile et sombre, relecture futuriste d’Ennio Morricone, de John Barry, de la musique concrète, de la pop féminine et diaphane des 60s, on a suivi le groupe et sa voix comme des possédés, guettant ses rares sorties comme des dépendants à l’affût.
On l’a suivi et on l’a vu, d’époque en époque, suivre une sombre course : celle menant, lentement, inexorablement, à la malédiction superglue des indécrottables poissards. Car Broadcast, sans doute décédé en même temps que sa voix et parolière adorée s’est tue malgré un album peut-être bouclé, est on l’affirme l’un des tous meilleurs groupes anglais des 15 dernières années, sinon le meilleur. L’un des plus tristement ignoré, également. Chaque album, chaque nouveau maxi, chaque concert était l’occasion de hurler au génie et de se glisser dans d’infinies beautés ; les masses, elles, allaient à chaque fois voir ailleurs si la médiocrité n’y était pas.
Riche de fans zélés plutôt célèbres, Thom Yorke le premier, le groupe a vite compris que ce qui aurait sans doute pu ou dû devenir les tubes définitifs de centaines de milliers de cœurs chamallows (Papercuts, Look Outside, City in Progress ou Come On Let’s Go sur The Noise Made by People en 2000, par exemple) ne dépasserait jamais le périmètre quasi-carcéral du « culte ». Comprendre : jamais célèbre de son vivant, pourtant adoré par une romantique armée des ombres, celle-là même qui, depuis l’affreuse nouvelle, se retrouve orpheline, désespérée, en larmes, perdue.
Vendant peu, perdant un de ses membres à chaque album pour finir en couple (Trish Keenan et James Cargill), devant enregistrer ses disques avec les maigres moyens du bord chancelant, Broadcast s’est très vite laissé aller à son propre destin, finalement très noir, et a peu à peu libéré ses obsessions musicales complexes. Le toujours plutôt pop Ha Ha Sound (2003) commençait déjà à saloper les joliesses avec des dissonances plus prononcées, le béton remplaçant les préciosités, un ésotérisme passionnant comme ressort intime, une tension sous-jacente extraordinaire. Tender Buttons enfonçait encore un peu plus l’écharde vénéneuse dans les chairs pop : les magnifiques chansons du groupe, sans se défaire des séquences les plus rondes et mélodieuses de son ADN, étaient plus électroniques, plus kraut, de plus en plus corrodées, étaient textuellement et formellement de plus en plus passionnantes.
Se sachant a priori définitivement perdu pour les causes populaires, le groupe sortait enfin en 2009 l’ultime exploration de ses passions sorcières pour les occultismes musicaux : un Broadcast and The Focus Group Investigate Witch Cults of the Radio Age étrange et passionnant, vaporeux, informe, bourré de fantômes, de cauchemars, de sortilèges radiophoniques, de parasites menaçant, de beautés tordues. Peut-être le dernier disque que Broadcast offrira au monde. Qui, injuste petite chose, ne l’a jamais remercié comme il l’aurait dû pour l’avoir, envers et contre tout, ainsi réenchanté. Un album, sur lequel Trish et James travaillent depuis quelques équinoxes, viendra peut-être donner une ultime chance aux ignorants de prouver leur admiration -c’est tout ce que l’on peut espérer.
On a, on le répète, beaucoup écouté Broadcast, infiniment aimé Trish Keenan. On a perdu ce matin son âme, voix de sirène diaphane et charnelle. On a, pour être tout à fait sincère, perdu bien plus : une amie chère, une présence intime et constante, une soeur mélancolique, un amour fantasmatique. On pense beaucoup à elle, à sa famille, à ses proches. Et on écoutera encore beaucoup Trish Keenan : elle a encore beaucoup de secrets à nous souffler au creux de l’oreille. « You won’t find it by your self, you’re gonna need some help, and you won’t fail with me around : come on let’s go”. Comment faire, maintenant qu’elle est partie?
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