Secoué par le naufrage de ses Waterboys, Mike Scott quitta New York et ses fantasmes rock pour une sévère pénitence : une année de recueillement spirituel dans une « communauté » écossaise. Ressorti plus mystique et illuminé que jamais, il a mis son rock luxuriant à la diète sur Bring em all in, album rédempteur […]
Secoué par le naufrage de ses Waterboys, Mike Scott quitta New York et ses fantasmes rock pour une sévère pénitence : une année de recueillement spirituel dans une « communauté » écossaise. Ressorti plus mystique et illuminé que jamais, il a mis son rock luxuriant à la diète sur Bring em all in, album rédempteur et acoustique.
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Un bouillon. Rance, flasque, écœurant. L’indigne cuvée 93 des Waterboys avait fini par tarir dix années d’un débit fluide quasi ininterrompu. Dream harder, cauchemar américain où l’Ecossais Mike Scott noyait ses illusions dans un caniveau new-yorkais, aura jeté aux requins les derniers reliefs d’un festin trop riche. Des débuts somptueux de Waterboys jusqu’aux ripailles enivrées de Room to roam, et même aux heures héroïques passablement pesantes de This is the sea, Mike Scott avait su préserver son groupe des vilaines marées et des crues voraces.
La langue jamais chargée, l’œil turquoise toujours vif, le geste ample et élégant, changeant de personnel comme de lieu de villégiature à chaque album, Mike Scott avait finalement trouvé sa lumière parmi les tourments irlandais de Fisherman’s blues. Un succès furtif, vite anéanti dans la tasse amère de Room to roam – son échec le plus mal cicatrisé -, et Mike Scott était déjà parti voir ailleurs. Dévorée par ces racines qu’elle pensait pouvoir régénérer, la jeune sève des Waterboys – dont Scott assumait désormais seul le flux – se replia par dépit sur un arbre généalogique plus familier. New York donc, avec Patti – A Girl called Johnny – Smith comme ultime planche de salut : « Ce fut une expérience fantastique. A part les Beatles, tous les groupes que j’avais le plus écoutés venaient de là-bas. Les New York Dolls, Richard Hell and The Vodoïds, Television… J’ai grandi dans un trou paumé de l’ouest de l’Ecosse et New York, comme Londres au début, était une terre de fantasmes. Je devais exorciser tout ça, courir le risque d’être déçu. Ça n’a pas manqué d’ailleurs, je me suis vite rendu compte que mes idoles étaient des gens comme les autres, comme n’importe quel Ecossais moyen. Finalement, cette ville existait vraiment, les tons qui y vivaient me ressemblaient, comme à Glasgow ou Edimbourg. J’ai serré la main de Lou Reed et ma seule réaction a été de me dire que c’était un type sympa, mais qu’il n’avait rien déplus que n’importe qui d’autre. Ma fascination pour New York s’est donc arrêtée le jour où j’y ai mis les pieds. Pourtant, j’y ai vécu une année formidable. J’avais besoin d’un tel endroit où l’on trouve les meilleurs musiciens et les meilleurs studios. Je voulais m imprégner de toutes sortes de cultures, pouvoir aller à des concerts de gospel ou de sitar, voir des spectacles de musique indienne ou de blues. Alors j’ai fait tout ça. Sans regret. »
Lâché sur ces terres, mais armé d’un contrat flambant neuf chez Geffen, Mike Scott se croyait en mesure de dompter l’Amérique. Des guitares syndicalement épaisses, tendance Hendrix bien peigné, devaient faire voler en éclats les derniers barrages. The New life starts here ou Preparing to fly, autant de déclarations fracassantes qui firent long feu : Mike Scott resta collé au bitume l’ombre piteuse des Waterboys comme seule compagne d’infortune. Un bouillon, pas seulement musical.
Alors la vraie nouvelle vie commença ailleurs, à la case départ, dans un recoin d’Ecosse à jamais perdu pour la gloire. Avant d’entreprendre l’enregistrement de Bring em all in, album rédempteur aux humbles reflets acoustiques, Mike Scott s’imposa une sévère pénitence : un an de recueil spirituel, dans l’un de ces endroits nommés pudiquement communautés, mais que les manchettes des journaux traduisent plus brutalement par sectes. « La Fondation Findhorn est une école spirituelle installée à proximité de Findhorn» un village paumé dans la campagne écossaise. Chacun y est son propre professeur et Dieu fait office de surveillant général. Cette communauté accueille environ cinq cents personnes, chacune à la recherche de Dieu. Moi compris. Elle existe depuis 1962, ma mère y avait appartenu avant moi et c’est grâce à une vidéo quelle avait ramenée que j’ai eu envie d’y entrer à mon tour. J y suis resté environ un an, dont trois mois complets – les trois mois les plus riches et heureux de mon existence. J’ai lentement appris à redevenir un être humain ordinaire, à m’ouvrir aux autres, à rendre des services pour le bien de tous. A l’extérieur, je suis une rock-star, lestons me reconnaissent dans la rue comme le chanteur des Waterboys. En me retrouvant à l’écart de la foule, dans un endroit comme Findhorn, je porte ce fardeau sur mes épaules et j’apprends peu à peu à mon débarrasser parce que, là-bas, personne n’a jamais entendu parler de moi, de mon groupe et de mes chansons.- Je suis juste un pensionnaire comme un autre. J’ai travaillé aux cuisines, aidé aux travaux ménagers, j’ai servi le dîner, fait du jardinage dans la propriété et, en parallèle, j’ai entrepris une sorte de voyage intérieur. Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse, mais j’ai toujours ressenti en moi une force très puissante qui me guidait. Bien que sans enfant et séparé de mon épouse, je ne recherchais pas spécialement une famille à Findhorn, juste un monde suffisamment loin de celui que je côtoyais avant, un endroit pour apprendre. »
Fin 94, Mike Scott a retrouvé son identité – les Waterboys sont définitivement lessivés -, son label de toujours, Chrysalis, et fait passer aux chansons qu’il a écrites durant sa retraite de Findhorn l’épreuve des concerts solo : une voix, une guitare et une bonne vieille lumière divine achetée en solde. Quarante prestations dépouillées durant neuf longs mois de gestation, puis Mike Scott enfante Bring em all in sans douleur, seulement secondé par Niko Bolas, ingénieur obstétricien de Neil Young et, courageusement, du dernier Rod Stewart Dans un minuscule studio proche de Findhorn, Scott renoue avec la rusticité de Fisherman’s blues, l’Irlande et Dublin étant cette fois réduits à l’état de fantômes ? City full of ghosts -, l’électricité au rang de simple figurante : « Je n’ai nullement choisi cette option acoustique en réaction à Dream barder – que j’adore – mais par pure commodité. J’ai beaucoup bougé ces dernières années et je me suis retrouvé à composer seul à la guitare, dans les chambres d’hôtel ou à Findhorn, sans voir la couleur d’un ampli pendant des mois. Ces nouvelles chansons sont très personnelles, je parle de moi en utilisant plus fréquemment la première personne et je ne voulais avoir recours à aucun autre musicien pour les jouer. De toute façon, sur les disques des Waterboys qui paraissent les plus collectifs comme Fisherman’s blues ou Room to roam, je décidais déjà tout de A à Z, de la plus petite partie de flûte au moindre arrangement. Simplement, en raison de ma fascination d’adolescent pour le rock, j’ai toujours préféré les groupes aux artistes solo. Maintenant, cette distinction m indiffère. Les Waterboys sont morts et enterrés mais c’est la même aventure qui se poursuit. «
Hormis sur Building the city of light – que Scott considère comme l’un des derniers vestiges de son passé l’album ne subit que très occasionnellement les montées d’adrénaline et n’est paré, côté décoration, que du strict essentiel. On songe évidemment à Dylan et parfois à Donovan, son double angélique, ou à un Van Morrison plongé dans l’hydromel. Les textes laissent entrevoir une part considérable de lumière, d’amour et de sérénité, ce fonds de commerce des illuminés déballé toutefois ici sans prosélytisme. On sait, depuis l’implosion intégriste de l’ancien baba Cat Stevens, que l’opium du peuple provoque chez les rock-stars en déclin des dommages encore plus grands que l’héroïne. Heureusement, Mike Scott et sa toute nouvelle paix intérieure nous épargnent le prêchi-prêcha de ceux qui prétendent avoir vu la lumière pendant que nous autres croupissions dans les ténèbres et le péché. Il grimace au seul énoncé du nom de Bono – ce qui est bon signe – et, lorsqu’on lui fait remarquer les accents christiques de la chanson Bring em all in, qui ouvre le disque avec une solennité digne d’un office religieux, Mike Scott met un peu d’eau dans son vin de messe.
« Même si cette chanson peut prêter à confusion, il ne s’agit en aucun cas d’un message universel. Je n’ai aucune leçon à donner à quiconque. C’est au contraire le fruit d’un branle-bas personnel, observé à partir des diverses composantes de l’être humain que je suis : la partie jalouse, la partie cruelle, la partie colérique, toutes ces choses dont Je ne suis pas très fier mais qui m appartiennent. D’ordinaire, on tente de dissimuler ses propres défauts. Donc, un jour, j’ai décidé de ne plus les cacher et, au lieu de me critiquer sans cesse à propos de tous ces défauts, je les ai laissés pénétrer mon cœur. Je laisse agir comme seul arbitre le Christ qui est en moi. Il ne faut pas oublier que j’ai grandi en Ecosse où quiconque possède un comportement qui ne correspond pas à la norme est montré du doigt comme un paria. A l’école, j’avais une attitude très différente des autres élèves. On me disait très souvent cette phrase cruelle : « Pour qui te prends-tu ! »J’entends encore résonner ces voix à l’intérieur et chaque fois que j’écris une chanson, que je me montre un peu trop satisfait du résultat, il y a cette voix qui me rappelle à la réalité : « Pour qui te prends-tu ? »
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