Quarante-cinq ans après l’avoir mis en berne, le Beach Boy en chef Brian Wilson
retrouve son Smile et l’étale dans un subjuguant coffret. Critique et écoute.
Un être humain normal n’a sans doute aucune envie de posséder trente-quatre versions de Heroes and Villains et vingt-quatre de Good Vibrations en plus des originales. Mais le fan des Beach Boys n’est pas un être humain normal, tant il a hérité du caractère obsessionnel de son héros Brian Wilson, ainsi que d’une part de son âme d’enfant, au point d’accueillir ce coffret de Noël comme la plus incroyable des offrandes.
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Sont publiés en parallèle plusieurs formats pour découvrir ce Smile reconstitué. Mais il va sans dire que celui qui comprend cinq CD, un double lp et deux 45t dans une charmante boutique en relief reprenant le dessin original de Frank Holmes enterre (à condition d’en avoir les moyens) tous les autres. Même si les meilleurs titres ont atterri sur les albums officiels des Beach Boys depuis 1967, même si des tonnes de pirates ont permis au fil du temps à chacun de se fabriquer son Smile, cette sortie officielle demeure une source d’émerveillement incomparable.
Rappelons rapidement les faits. Smile, prévu pour arriver chez les disquaires au mois de janvier 1967, devait être l’album le plus révolutionnaire de son temps, succédant dans le crescendo artistique hallucinant des Beach Boys du milieu des sixties au déjà culminant Pet Sounds. Pour des raisons complexes liées en grande partie à la paranoïa grandissante de son maître d’oeuvre – le reste du groupe jouait les utilités en tournée et ne participait que de loin à l’enregistrement –, Smile restera inachevé, tel un continent musical à lui seul que le pragmatisme des marchands de disques de l’époque aura préféré laisser partir à la dérive.
Malgré le succès commercial de Good Vibrations, l’une des pièces maîtresses de l’album exfiltrée en single fin 66, Smile ne verra pas officiellement le jour dans sa forme initiale avant 2004, lorsque Brian Wilson choisira de le réenregistrer avec des jeunes musiciens qui connaissaient suffisamment chaque recoin de cet Atlantide de la pop-music pour le reconstituer à l’identique. L’étape suivante est logique : ce sont désormais les sessions originales – étalées à l’époque sur dix mois – qui refont aujourd’hui surface à l’approche du quarante-cinquième anniversaire de cette légendaire bérézina.
Outre la luxuriance de la restauration sonore, qui le différencie de tous les bootlegs en circulation, ce long et sinueux voyage dans les territoires les plus secrets du cerveau de Brian Wilson – avec ce que cela peut avoir d’effrayant – continue de sidérer et d’éblouir, notamment parce que l’on est invité ici dans la cabine de pilotage. Et surtout parce qu’aucune oeuvre n’aura aussi parfaitement conjugué ce qui est la matrice de l’art absolu : une ambition monumentale, savante, scientifique à bien des égards, qui demeure pourtant comme irradiée par son éternelle juvénilité.
Cette “symphonie adolescente adressée à Dieu”, telle que la voulait Brian Wilson, va donc enfin pouvoir atteindre son destinataire. Il ne nous étonnerait pas que Dieu, comme nous pauvres mortels, sourie et pleure de béatitude.
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