Largué et affranchi, derrière et nulle part, un Dutronc à la hauteur : je-m’en-foutiste et seul au monde. Pauvre Dutronc, qui depuis des siècles demande uniquement la justice des citoyens qui constituent son (notre) ordinaire – le boucher, le pizzaïolo – et qui, systématiquement, doit affronter les tribunaux d’exception. C’est à la fois honorifique et […]
Largué et affranchi, derrière et nulle part, un Dutronc à la hauteur : je-m’en-foutiste et seul au monde.
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Pauvre Dutronc, qui depuis des siècles demande uniquement la justice des citoyens qui constituent son (notre) ordinaire – le boucher, le pizzaïolo – et qui, systématiquement, doit affronter les tribunaux d’exception. C’est à la fois honorifique et terriblement frustrant, mais c’est ici fait sans la lâcheté et la complaisance douteuse propres aux induits de tout poil. Ainsi, on ne s’autorise à évoquer les disques de Dutronc que sur une échelle très précise, très réglementée : seulement par rapport aux disques de Dutronc. A la fois trop largués et trop affranchis, trop derrière et trop nulle part, ses disques sont, dans nos discothèques, des ovnis que l’on s’interdirait pourtant bien de justifier : ils font partie des meubles, quitte, parfois – le désolant CQFD -, à uniquement servir à les caler. Irresponsables, bousillés et boiteux, c’est pourtant eux qu’on sort invariablement quand un étranger nous demande de lui faire écouter une musique aux romantisme et odeurs fortes d’ici. On a, trop souvent, appelé la nostalgie à la rescousse pour sauver la tête de Dutronc, et c’est une grave erreur : hors goût, saugrenus et égoïstes, aucun de ses albums na su ou voulu pactiser avec la cohérence ou le perfectionnisme – se contentant d’entasser cahin-caha des fulgurances d’inspiration fascinantes avec des banalités réquisitionnées de force pour le colmatage des brèches. Plus de trente années de carrière, et toujours pas un album à se mettre sous la dent. Et ce n’est pas avec Brèves rencontres que Dutronc entrera par la grande porte au panthéon de la Chanson Française – plus homme à la tête de lard qu’Homme à la tête de chou -, préférant pisser sur ses murs, dévaliser ses caves et cracher sur les tombes. Bordélique et bâclé – sur huit ans d’absence, on serait amusé de connaître le nombre d’heures effectivement passées en studio -, Brèves rencontres prouve encore cette formidable capacité de Dutronc à réveiller des enthousiasmes honteux, à embobiner nos gardes naturelles, à nous faire supporter des guitares dont même Johnny Hallyday soupçonnerait la ringardise (Ame sœur, Faut que je rôde), à nous faire avaler des couleuvres aussi grasses et répugnantes qu’Elle m’a rien dit, elle ma tout dit ou Laisse Lucie faire en deux lignes (« Au nom du père, du fisc et du saint-estèphe »). Pourtant, dès que les gros bras vont enfin à la cafétéria, on s’installe définitivement dans ces Brèves rencontres : ainsi A part ça, malicieux exercice familial ; ainsi Tous les goûts sont dans ma nature, écrit bien seul, tout égoïste, sur mesure parfait ; ainsi Le Pianiste dans une boîte à Gand, Rappelez-moi et Brèves rencontres, trois petits ponts nostalgiques et désuets avec les sixties, douceurs-crooners inventées pour cette frêle voix. Qui, lorsqu’elle se sent un peu impliquée dans l’album, oublie rodomontades et lassitude pour quelques belles leçons de vie : « Tout va bien : on a vue sur la rue ». Toujours pas prêt pour la médaille des Arts et des Lettres, le veinard.
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