Tu as toujours regretté de ne pas avoir consacré assez de temps à la lecture. Qu’en est-il aujourd’hui ? J’ai toujours eu d’énormes problèmes de concentration, mais dernièrement j’ai réussi à terminer L’Etranger de Camus, un livre que j’aurais dû lire il y a des années. Je regrette qu’il n’ait pas influencé plus tôt la […]
Tu as toujours regretté de ne pas avoir consacré assez de temps à la lecture. Qu’en est-il aujourd’hui ?
J’ai toujours eu d’énormes problèmes de concentration, mais dernièrement j’ai réussi à terminer L’Etranger de Camus, un livre que j’aurais dû lire il y a des années. Je regrette qu’il n’ait pas influencé plus tôt la façon dont j’écris des chansons. Ce qui m’a d’abord plu chez Camus, c’est cette apparente économie de style qui cache en réalité un formidable travail sémantique : chaque mot semble avoir été choisi avec un soin infini. D’un autre côté, L’Etranger pose un certain nombre de questions auxquelles j’ai toujours été sensible, et notamment quelle valeur accorder à la morale dans une société régie par l’absurde. Une interrogation que soulève également Martin Amis dans La Flèche du temps, que j’ai lu récemment : un bouquin vraiment dérangeant qui raconte, à rebours, l’histoire d’un ancien nazi, responsable de la mort de milliers de Juifs.
Quels sont tes souvenirs de lecture les plus marquants ?
Certainement 1984 de George Orwell : l’un des rares livres à avoir retenu mon attention au lycée. D’abord parce qu’il s’agit d’une histoire d’amour hors norme, ensuite parce qu’en inscrivant cet ouvrage visionnaire au programme de l’année 84, soit en plein thatchérisme, il m’est tout de suite apparu que la plus conservatrice institution d’Angleterre ne manquait pas d’un certain sens de l’humour. Ce livre a eu une grande influence sur la construction de mon imaginaire.
L’imagerie de Suede, notamment à travers les pochettes de disques de Peter Saville, dénote un goût prononcé pour le graphisme contemporain.
Je suis un grand fan de la peinture de David Hockney. Je me rends compte aujourd’hui que j’y ai toujours apprécié les qualités que j’ai découvertes chez Albert Camus, c’est-à-dire une immense force descriptive basée sur la simplicité. On a longtemps pris Hockney pour un simple décorateur, une sorte de photographe au pinceau manquant sensiblement d’inspiration, alors que chacune de ses toiles est à mes yeux mille fois plus expressive que n’importe quelle photo sur le même sujet. J’aime particulièrement sa série sur Los Angeles, ainsi que cette toile, Eight o’clock, représentant une femme assise avec son chat dans un appartement londonien. Il n’y a aucune opinion derrière les peintures de David Hockney, elles existent, c’est tout. J’aime aussi beaucoup l’oeuvre d’un autre artiste issu de la mouvance hyperréaliste, Patrick Caulfield. Son travail consiste à mélanger sur le même support plusieurs sujets traités dans différents styles.
En dehors de Suede, quel est ton rapport à la musique ?
Malgré ce qu’on a pu penser de moi quand nous revendiquions notre appartenance à une tradition musicale exclusivement britannique, j’ai toujours été très ouvert musicalement, ce qui me permet d’écouter le Maxinquaye de Tricky, puis d’apprécier le dernier single de TLC qui passe en boucle à la radio. Je n’achèterai probablement jamais un album de TLC, mais je sais reconnaître une bonne chanson… Dernièrement, je me suis laissé aller à des ambiances plutôt funk en redécouvrant la discographie de Prince, avec les disques d’Asian Dub Foundation et d’Audioweb. D’un autre côté, les derniers albums de Mercury Rev, de Black Box Recorder et de Super Furry Animals m’ont beaucoup impressionné.
Fréquentes-tu régulièrement les salles obscures ?
Essentiellement pour aller y voir les films de mes cinéastes préférés, parmi lesquels ceux de Nicolas Roeg, dont l’univers est proche de celui de David Lynch, la poésie en plus. Cela dit, j’adore Lynch. Par deux fois, il a vraiment réussi à me ficher la frousse : la première avec cette scène de Twin Peaks, série trop souvent complaisante à mon goût, où l’on voyait Bob apparaître prostré dans un coin de la chambre de la fille, la seconde avec ce passage de Lost highway où l’on entend ce type bizarre dire en voix off « Je suis dans ta maison à présent. » Aujourd’hui, j’attends avec impatience la sortie d’Eyes wide shut, le film posthume de Kubrick. Son travail n’a cessé de me fasciner depuis que je l’ai découvert avec Docteur Folamour et Shining : comment ce type a-t-il pu aborder autant de genres cinématographiques différents en produisant à chaque fois une oeuvre de référence ? Le cinéma est aussi pour moi le moyen de satisfaire rapidement des envies soudaines : parfois, j’ai subitement envie d’un divertissement crétin. Dans ces moments-là, je vais voir un film comme 58 minutes pour vivre, que j’apprécie pour ce qu’il est : une merde.
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Suede .Head music (Nude/Small).
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