Le collectif de musiciens et réalisateurs Breton a contracté le virus de l’underground. Ironie : c’est dans une ancienne banque du sud de la ville qu’il se planque pour élaborer ses trésors. A voir, en prime et pour 24h, le streaming intégrale du concert du groupe à Paris en janvier dernier.
« Demain, on tourne une nouvelle vidéo, annonce Chris McIlvenny, le manager de Breton. On a besoin de trois filles pour jouer des putes à l’arrière d’un van, on compte sur toi.” Le ton est donné : comme pour les autres, le tournage de ce clip du collectif hyperactif de musiciens et réalisateurs anglais se fera avec les moyens du bord et la bonne volonté de tous. Rendez-vous est pris au Breton Lab, QG du groupe dans le sud-est de Londres, qu’il loue contre une poignée de livres à Camelot, société spécialisée dans l’occupation de propriétés abandonnées pour éviter les squats. Pas de bow-window ni d’intérieur soigné ici : comme Aphex Twin, dont la légende veut qu’il vive dans le coffre d’une banque du quartier, les cinq garçons habitent une banque désaffectée. Un gros antivol pour vélo cadenasse la grille d’entrée. Le Lab se dresse devant nous, immense, inquiétant. C’est ici que pendant de longs mois Roman Rappak, cerveau du collectif, et ses complices ont tourné le dos à la vie du dehors et à toute notion de confort pour édifier pierre par pierre Other People’s Problems, leur premier album.
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On suit Rappak à travers le dédale d’escaliers et de couloirs sans s’éloigner : facile de se perdre dans ces grandes salles sombres. L’une d’elles a servi au tournage d’un clip de Sinead O’Connor que Roman a réalisé. Lorsqu’ils ne bossent pas pour eux-mêmes, les oiseaux de nuit de Breton travaillent pour les autres, sans relâche. Entre vie sociale et art, les cinq garçons ont choisi. “Le concept à la base du Lab était vraiment de nous couper de la société, de nos amis. Nous en avons perdu beaucoup dans l’aventure, c’est le côté sombre de l’histoire, confie Roman avant d’ouvrir une porte blindée. Regarde, c’est ici qu’ils faisaient entrer l’argent dans la banque et là, ils le stockaient.” C’est dans cette pièce, alors inondée, que le groupe a trouvé l’orgue en fin de vie qui a donné naissance aux samples de The Well. Chez les taupes de Breton, la créativité trouve souvent sa source sous terre. Enfermé 24 heures sur 24 dans des pièces sans fenêtres, le collectif s’est forcé, l’an dernier, à quitter Londres et l’ombre pour le studio de Sigur Rós, en Islande, afin d’apporter un peu plus de vie à la première version d’Other People’s Problems. Hic : le studio des Islandais est aussi cinglé, enfoncé dans une ancienne piscine municipale.
Après un passage à la cantine de la banque, qui sert maintenant de cuisine collective, puis sur le gigantesque toit avec vue sur Londres, on entre dans l’annexe du groupe, caverne d’Ali Baba où s’entassent deux vieux canapés, des instruments, des bouquins, des pochoirs, un frigo et un tas d’objets non identifiés. Au milieu, une immense tente, mi-chambre, mi-salle de répétition. A l’autre bout, une petite pièce pleine d’ordinateurs sert de salle de travail, d’enregistrement, de montage et de nuits blanches. Si la fenêtre n’était pas couverte d’une bâche, on pourrait voir les Corsica Studios, haut lieu de vie nocturne du quartier et berceau du dubstep. Depuis leur création en 2011, les soirées Boiler Room qu’il héberge ont vu éclore James Blake, Jamie xx, accueilli Thom Yorke, Caribou et servi de repaire aux labels indés Hotflush et Hemlock. Les garçons de Breton n’en ont raté aucune.
Habitué du chaos – il n’y a qu’à écouter The Commission et ses bruits de bâtiment en destruction –, le groupe a passé beaucoup de nuits en free et squat parties, ces fêtes illégales sises dans des immeubles abandonnés. “Dans ces soirées, à l’inverse des clubs, on ne te demande jamais ta carte d’identité. On y passe plein de genres de musique différents. Ça peut être très bizarre de voir un bébé dans un couffin à côté d’un DJ en train de fumer un joint pendant que d’énormes chiens se baladent dans la pièce, mais d’un coup, un groupe se pointe, se met à jouer et tout va bien”, explique Roman tandis que Ryan McClarnon, VJ du collectif de 20 ans, raconte les soirées clandestines d’Hackney Wick, au nord de Londres, comme un vétéran.
La moitié des scènes de la vidéo d’Interference ont été tournées en extérieur et dans l’appartement d’un ami du groupe avec Gerry, héros du clip, pote de pote aux tatouages imposants, le reste du tournage s’est déroulé dans le sous-sol du Lab : “Ce sont nos îles Galápagos, un endroit totalement indépendant. On a parfois l’impression qu’en ouvrant la porte vers la sortie on va trouver un monde totalement bouleversé.” Ce monde bouleversé, Roman l’a connu en Pologne, pays de son père où il a passé une partie de son adolescence. C’est là que le jeune homme a pris goût au monde souterrain, aux cassettes de grunge vendues sous le manteau dans la cour de l’école. “Tout était underground. C’était la fin d’une ère, le chaos total.” Quinze ans après, Roman n’a rien perdu de cette culture du secret et du caché. Sur Facebook, des cassettes piratées contenant des morceaux inédits de Breton s’échangent entre initiés. Elles portent le nom de The Warsaw Bootleg.
“Assieds-toi par terre avec les autres”, me demande Roman, caméra à la main, alors que l’on s’enfonce une nouvelle fois sous terre avec le bassiste et le batteur du groupe. On s’exécute, capuche sur le crâne et air désespéré de rigueur. Il s’agit de jouer les jeunes gens apeurés, retenus contre leur volonté par le héros du clip. Ambiance trafic d’êtres humains : la lumière balaie la pièce à plusieurs reprises, on baisse la tête. La scène est terminée. On ne jouera pas les prostituées tourmentées cette fois-ci, faute de temps.
“Quand mon père est arrivé de Pologne, il s’est installé dans un squat à Londres”, lâche Roman. A croire que chez les Rappak, le culte de l’underground se transmet de père en fils.
Album Other People’s Problems (FatCat)
Concerts : le 28/6 à Marseille (Rock Island Festival), le 7/7 à Paris avec Hot Chip (Cité de la Musique – Festival Days Off), le 11/8 à Saint-Malo (Route du Rock), le 21 septembre à Metz, le 22 à Grenoble, le 24 à Lille, le 25 à Amiens, le 26 à Laval, le 27 à Paris (Gaité Lyrique), le 28 à Tours et le 29 à Bègles.
Photos : Ondine Benetier
Breton en live à Paris, la Machine du Moulin Rouge
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