Alors que sort aujourd’hui « War Room Stories », second album à l’envergure étourdissante enregistré dans d’anciens bâtiments communistes à Berlin, on a rencontré Roman Rappak de Breton pour un long entretien tout aussi étourdissant. Interview en franglais d’un Londonien pas tout à fait anglais.
L’autodestruction à travers la musique, c’est quelque chose qui te fascine ?
Bien sûr. Mais c’est surtout l’idée que notre album est plus fort que tout ce qu’on pourrait faire séparément qui me fascine. Cet album est vivant, intense, parce qu’on a mis énormément de nous-même dedans. C’est presque comme un enfant. C’est une vie à part entière, et comme toutes les choses vivantes, il en a tous les attraits : il est né et il va aussi mourir un jour. La raison pour laquelle c’est génial de tomber amoureux, c’est qu’une des deux personnes va mourir avant l’autre et qu’en attendant, il faut en profiter avant que ce sentiment fugace ne te soit retiré.
C’est assez triste comme vision…
Non c’est beau, parce que c’est tout ce que tu as. Quand tu tombes amoureux, et que tu arrives à trouver le bonheur avec cette personne, ce n’est pas parce que tu vas avoir ça pour toujours que tu l’apprécies, mais parce que tu vas le perdre un jour. L’une des raisons pour lesquelles j’aime mon père, parce qu’il va mourir un jour et je ne pourrai plus jamais rien faire avec lui. Les choses sont appréciables parce qu’elles ont toujours une fin.
Je crois qu’au contraire, ce qui est génial quand tu aimes quelqu’un, c’est justement que tu oublies que cela peut s’arrêter à un moment donné.
Je ne crois pas. Ce qui est fantastique avec mes parents par exemple, c’est que pour l’instant, ils sont encore là. C’est comme avec Breton. J’en profite parce que je sais qu’un jour, je risque de me dire que j’aimerais bien que Breton donne un nouveau concert ou qu’on enregistre un autre album et je ne le pourrai pas. Ça rajoute de la valeur à tout ce que l’on fait en ce moment : à cet album, au prochain concert qu’on va donner… Une bonne métaphore serait les concerts : il y a un début et une fin, c’est tellement fugace… C’est ce qui réunit toutes les choses géniales dans la vie : elles sont fugaces et elles vont disparaître un jour.
Tu dirais que tu prends Breton plus au sérieux depuis que tu as vu que vous aviez un public, des fans, des dates de concerts, que ce n’est plus simplement une utopie ?
C’est super cliché, mais ce que j’ai appris depuis la dernière fois qu’on était là, il y a un an et demi, c’est qu’à partir du moment où tu as une idée et un groupe de personnes qui y croient, tu peux tout faire. Si des gens croient en une idée, alors l’idée et le projet qui va avec existent, ont une date de naissance et sûrement une date de mort programmée. Peut-être qu’avec ce disque, on va faire tout ce qu’on a toujours rêvé de faire. C’est peut-être notre dernier album, qui sait ?
Tu as peur de ça ?
De ne pas faire de troisième album ? Non, pas du tout. Quand on sentira que c’est le moment de se séparer, on se séparera.
Comment as-tu vécu les mois qui séparaient la fin de l’enregistrement de l’album et sa sortie ?
J’étais mort de peur. Je ne m’étais pas senti comme ça quand on a sorti Other People’s Problems parce que j’étais déjà si heureux de me dire qu’il y avait ne serait-ce que dix personnes qui aimaient notre musique. Aujourd’hui, c’est un peu différent. Et puis le but d’un second album, c’est de prendre une autre direction pour énerver un peu les gens qui avaient aimé le premier non (rires) ? Il y a des gens qui ont adoré notre premier album et qui vont détester celui-ci, et d’autres qui ont détesté le premier et qui vont peut-être adorer War Room Stories. C’est comme écrire dans un magazine et te dire que potentiellement, des centaines de gens vont lire ce que tu as écrit. Si c’est un article honnête, dans lequel tu t’es impliqué, comme moi je le suis dans notre album, c’est forcément stressant. Ça revient à peu près à être seul en caleçon sur un rond-point à la vue de tout le monde (rires).
C’est étrange de te dire qu’une fois dehors, tes chansons ne t’appartiennent plus parce que chacun y voit une signification personnelle, peut-être complètement à l’opposé de ce que tu as voulu dire ?
Non, parce que ces chansons ne m’ont jamais vraiment appartenu au départ. Ça rejoint l’idée de propriété de la musique qu’on a abordé tout à l’heure : certaines personnes vont comprendre telle ou telle choses dans telle ou telle chanson, et ce serait absurde de leur dire « non, cette chanson parle de ça, point« . Ces chansons sont autant à nous qu’aux gens qui nous écoutent. Ça ne change rien pour moi puisque la signification d’une chanson sera toujours la même pour moi, même si dix autres personnes y voient une signification totalement différente. Je veux protéger mes propres interprétations, mais je refuse de les infliger à quelqu’un d’autre. Et puis ça me permet de cacher un peu de moi dedans aussi.
Certains morceaux de War Room Stories sont bien plus vieux que d’autres qui ont été enregistrés à Berlin. Ce n’était pas compliqué de les faire tous tenir dans le même album ?
C’est en ça que Berlin était une étape nécessaire : tous les titres de War Room Stories ont subi le même processus, qu’on parle de S Four qui a plusieurs années ou de 15 minutes qu’on a créé là-bas. Ça leur a donné la même texture en quelque sorte, parce qu’elles ont toutes été traitées de la même façon. Notre premier album manquait d’homogénéité, il avait quelque chose de chaotique, mais ça n’avait pas posé de problème au moment où on l’a sorti parce que c’était une porte d’entrée vers notre musique. Sur cet album, on voulait que tout rentre d’un côté et ressorte de l’autre en ayant subi les mêmes étapes de fabrication, les mêmes procédés – que chaque chanson ait reçu la même quantité d’amour et la même proportion de détachement. Et puis on a travaillé avec un producteur pop qui nous a aidés à donner une cohérence à ces chansons.