Alors que sort aujourd’hui « War Room Stories », second album à l’envergure étourdissante enregistré dans d’anciens bâtiments communistes à Berlin, on a rencontré Roman Rappak de Breton pour un long entretien tout aussi étourdissant. Interview en franglais d’un Londonien pas tout à fait anglais.
De quelle façon le groupe a évolué depuis la création d’Other People’s Problems ?
Je crois qu’on a passé ces deux dernières années à se demander en quoi ça consistait exactement d’être un groupe, et qu’on a fini par se rendre compte qu’on pouvait simplement être Breton (rires). Il n’y a pas vraiment de règles entre nous, et je pense qu’on est attaché les uns aux autres d’une façon assez unique. Il n’y a personne d’autre comme Ian dans ma vie et je suis pratiquement sûr que, pénible comme je suis, il n’y a pas d’autre Roman dans la sienne (rires). Depuis la sortie de notre premier album, on a appris comment se comprendre les uns les autres, et on a aussi appris à avoir besoin les uns des autres.
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War Room Stories sonne d’ailleurs comme un album beaucoup plus collectif que le premier…
Oui c’est vrai. Je crois j’ai progressé sur l’idée de finir des chansons ensemble au lieu de les finir seul. Ça rejoint ce que je disais tout à l’heure sur le live : j’ai vu ce qu’il se passait quand on tournait ensemble et à quel point on pouvait recréer nos propres chansons ensemble. C’est un acte de rébellion contre ta propre idée de départ de faire ça et c’est assez stressant. Mais arriver en disant « voilà l’ADN de la chanson, transformons-la en dinosaure » est beaucoup plus excitant qu’arriver avec un morceau fini.
De quelle manière as-tu évolué en tant que personne au sein de Breton ?
D’une certaine manière, si j’écoutais notre premier album sans faire partie du groupe, je crois que la première chose qui me frapperait serait notre imprudence absolue. Other People’s Problems est une compilation d’une dizaine de morceaux pleins de sonorités étranges, de bruits bizarres et de dialogues qui sonnent comme un gigantesque bordel, comme un enfant jetant de la peinture sur un mur. Certains moments de l’album sont super cools, mais pour War Room Stories, je crois qu’on a appris à prendre du recul. On a compris que ce qui fait un groupe ne tient pas dans les décisions qu’il prend, comme par exemple où doit débuter le refrain de telle ou telle chanson, ou si cette partie doit être jouée à la guitare ou au violon, mais dans la réponse que les gens vont donner à tel ou tel morceau, s’ils vont chanter en chœur très fort au moment du refrain ou non. C’est le public qui fait un disque.
Il y a des chansons que j’ai écrites à quinze ans que j’aime encore beaucoup, tout comme les gens ont probablement beaucoup d’affection pour notre premier album. C’est d’ailleurs pour ça qu’on est assis l’un en face de l’autre en ce moment. S’il ne s’agissait que de moi et du fait que j’aime profondément notre premier album, on ne serait pas là aujourd’hui. La propriété de la musique est au cœur de tous les débats aujourd’hui, mais elle s’est déplacée pour appartenir beaucoup plus aux gens qu’à qui que ce soit d’autre. Avec les iPod, les playlists, YouTube, les gens se sont approprié la musique et les groupes ont perdu un peu le contrôle. C’est le public qui décide.
Tu n’as pas vraiment répondu à ma question en fait…
Je sais (rires). De quelle manière j’ai évolué en étant dans Breton ?
Être dans un groupe comme le vôtre a forcément dû te faire évoluer d’un point de vue personnel ?
Oui, c’est pour ça que j’ai répondu à côté avant (rires). Ce qui a changé, c’est qu’il faut que je défende notre musique et nos décisions. Je me sens investi d’une certaine responsabilité et je ne peux pas me planquer derrière une chanson en disant que c’est simplement quelque chose de très personnel. Je veux faire des chansons que les gens fredonnent après les avoir écoutées une fois parce que c’est le truc le plus génial qui puisse t’arriver en tant que musicien et que c’est quelque chose dont notre premier album manquait. Il y avait des choses que je voulais changer entre notre premier album et celui-ci, tout comme je voudrai certainement changer des trucs entre War Room Stories et notre troisième album. J’ai besoin que les choses bougent sans cesse. Breton m’a poussé à grandir un peu et à prendre mes responsabilités pour défendre ce que j’aime.
Tu apprends des choses sur toi à travers votre musique ?
A partir du moment où j’essaie d’analyser pourquoi tel ou tel son m’a plu ou pourquoi j’aime tel ou tel genre de musique, ça soulève d’autres questions. C’est comme quand tu te demandes pourquoi un pays aime plus tel genre de musique qu’un autre, c’est souvent pour des raisons historiques, sociologiques, politiques ou religieuses – tu es toujours inconsciemment influencé par ce qui t’entoure et parfois, tu n’as pas vraiment d’opinion à toi. Tu aimes telle chose parce que tout le monde l’aime autour de toi. Quand tu te poses cette question-là, tu réalises à quel point tu es faible. Tu penses pouvoir créer un bouclier autour de toi pour te protéger de ton manque de confiance en toi, de ta peur d’être rejeté ou d’être seul, et faire partie d’un groupe ou partir en tournée te fait réaliser que ce n’est pas possible.
Tu sacrifies une si grande partie de ta vie quand tu décides de mener un groupe là où tu veux qu’il aille ou de sortir un album. Tu es rarement chez toi. Tes potes t’appellent pour te proposer des soirées que tu refuses systématiquement parce que tu n’es pas là et finissent par ne plus t’appeler du tout. Ta copine te dit qu’elle n’en peut plus. Hier, on a donné un concert à Londres, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas joué dans notre ville, et aucun de nos potes n’étaient là. Ils nous détestent je crois (rires). Si tu crois à ce que tu fais, il faut en passer par là, te couper de tout, sinon, la musique n’est qu’un hobby. Je ne veux pas écouter un album d’un groupe qui dit « on a plein de trucs dans nos vies, mais le dimanche, on est un groupe. » C’est des conneries.
Tu considères le fait d’être dans un groupe comme un sacrifie ?
Évidemment. Ça doit en être un. Quand je suis devant une peinture de Francis Bacon, j’aime savoir qu’il s’est complètement autodétruit en la faisant. Il y a des groupes importants sur des majors qui font ce qu’on leur dit de faire : « ça c’est le single« , « maintenant, fais une chanson comme ça« . Je ne veux pas voir ce genre de groupes. Je ne sais plus qui a dit ça, mais il y a une citation qui dit « si tu vas voir un musicien et qu’il ne transpire pas sur scène, demande à ce qu’on te rembourse ». C’est comme ça que ça doit se passer, sinon, c’est extrêmement arrogant de demander aux gens quelques minutes d’attention si tu ne t’es pas impliqué corps et âme dans la chose que tu leur présentes.
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