Alors que sort aujourd’hui « War Room Stories », second album à l’envergure étourdissante enregistré dans d’anciens bâtiments communistes à Berlin, on a rencontré Roman Rappak de Breton pour un long entretien tout aussi étourdissant. Interview en franglais d’un Londonien pas tout à fait anglais.
Tu aimes analyser ta musique, comprendre pourquoi tu as fait telle ou telle chanson ?
J’aime bien expérimenter pendant que je fais de la musique, jouer à l’apprenti-chimiste et me demander ce que ça donnerait si je mélangeais le bleu et le jaune, si le vert était plus beau que le rouge ou pourquoi j’ai préféré le violet au rose. J’aime bien aussi être assez libre pour ne pas savoir pourquoi j’ai aimé tel ou tel son, et simplement me contenter de l’aimer.
Ce sont deux manières d’approcher la création complètement contradictoires.
Parce que les chansons qu’on fait le sont, parce que les portraits de gens qu’on dresse et les sentiments qu’on met dans nos morceaux le sont aussi. Tout le monde a une part de contradiction. Je ne pense pas que les choses puissent être claires tout le temps, être noires ou blanches. C’est comme la couverture de l’album : elle est, en elle-même, contradictoire parce qu’elle montre une très belle chose – un papillon – qui est aussi en train de suffoquer ou peut-être déjà mort à cause de la peinture. Et c’est pareil pour le titre de l’album : War Room Stories. Ça fait référence au bunker où Churchill était pendant la guerre. Il dirigeait toutes les opérations de là, gérait tout le pays alors qu’il n’était pas en contact avec le pays lui-même. Il était protégé, mais isolé aussi. C’est comparable au moment où tu essaies d’écrire quelque chose : tu es une victime de toutes les expériences que tu as vécu, tu en es prisonnier, mais tu es aussi libre dans ta tête de faire ce que tu veux. Personne n’est forcé d’écrire un album, ni de devenir musicien, journaliste ou photographe. C’est simplement une façon d’extérioriser ce que tu ressens. Tu es seul face à ça, mais tu es aussi influencé de tous les côtés par ce que tu vis.
En quoi le Funkhaus vous a influencé ? A quoi ressemblait cet endroit ? Qu’est-ce qu’il a apporté à votre musique ?
A l’origine, le Funkhaus a été construit pour répandre l’idéologie communiste via des reportages, des émissions de radio, de la musique, des pièces de théâtre ou des discours. Le bâtiment entier a été construit pour être une rampe de lancement de tout cela ; un endroit où tous ces moyens de communication étaient réunis pour répandre le même message. C’était fascinant de se retrouver dans ce lieu parce que d’une certaine manière, c’est ce qu’on voulait faire nous aussi : transmettre une idée très précise à travers différents supports. On a enregistré dans ce qui reste du bâtiment, un squelette où des milliers de personnes travaillaient à l’époque et où il ne restait plus qu’une trentaine de personnes quand nous étions là-bas. Chaque recoin avait sa propre histoire, un peu comme au Lab et on a aussi imaginé pas mal de choses dans cet endroit. On aurait dit un bâtiment après une apocalypse zombie.
C’était important pour vous que cet endroit ait une histoire et qu’elle soit à l’opposé de celle du Lab ? D’un côté, une ancienne banque symbole du capitalisme, et de l’autre, d’anciens bâtiments de propagande communiste.
Oui, ça rejoint ce que je disais tout à l’heure : on a besoin d’un déroulé narratif, d’une histoire. Il ne faut pas contrôler l’environnement dans lequel tu évolues, ni essayer de ne pas être sensible à ce qui t’entoure. Cet album est bien plus basé sur cette idée que le premier. Other People’s Problems était une collection de morceaux électro figés auxquels on a ensuite essayé de donner vie sur scène. Avec War Room Stories, on a voulu capturer la vie des morceaux en les enregistrant. Elles vont évidemment elles-aussi changer une fois qu’on sera en tournée, mais je crois que grâce à la façon dont on les a enregistrées, elles pourront évoluer plus facilement et plus amplement. Je ne veux pas utiliser le mot « organique » qu’on utilise à tort et à travers, mais juste parler de processus d’enregistrement différent. Et puis il y a une chose qui rentre en compte : on a grandi depuis notre premier album, on a moins peur. Personnellement, je crois que je suis moins control freak qu’avant ou moins parano que tout s’arrête, c’est plus facile.
Breton a toujours été présenté comme une sorte de gang – c’est quelque chose auquel vous tenez particulièrement ?
Mes héros absolus dans la vie, les gens que je respecte le plus, sont ceux qui ont choisi à un moment donné de suivre leur envie profonde, leurs convictions, que ce soit en devenant artiste ou journaliste ou en créant une association caritative par exemple. On peut évidemment voir le monde de façon très nihiliste et se dire que tout ça n’a aucun but et qu’on va tous mourir un jour sans laisser de traces, mais les gens les plus honorables, selon moi, sont ceux qui ont fait quelque chose.
Avec Breton, j’ai le sentiment d’avoir fait un tout petit bout de cela. Il y a une idée de gang chez nous, mais pas de « nous tous contre le monde » – ou en tous cas, pas de façon agressive. Breton, c’est une gentille protestation contre le fait qu’on n’aurait jamais dû être musiciens au départ. Personne n’est supposé devenir artiste ou journaliste culturel, c’est quelque chose qui aurait pu, voire dû, rester un passe-temps. Tu es journaliste et moi musicien et on a sûrement tous les deux vécu ce moment où la société essaie de te convaincre que vivre de cela n’est pas possible et que tu ferais mieux de te concentrer sur une autre activité. Il y a quelque chose de noble chez les gens qui ont choisi de se tenir à leur rêve même si tout autour d’eux leur suggérait de prendre une autre voie. Réussir à organiser une soirée avec cinq potes un vendredi soir est déjà un cauchemar, alors imagine sortir deux albums ensemble (rires) ! Je n’interprète pas cette obstination à la lueur du fait qu’on déteste tous les cinq la « vie normale », mais plutôt à celle qu’on avait tous ce rêve de gosse et qu’on avait envie de le mener jusqu’au bout.
Vous êtes tous très différents pourtant – ce n’est pas toujours évident de poursuivre le même but, si ?
Pas quand tu es animé par la même fièvre je crois. Je me souviens très bien du jour où j’ai rencontré Ian (Patterson, ndlr) à une fête quand on avait 19 ou 20 ans. On s’est mis à discuter et on s’est dit « on va monter un groupe, on va enregistrer un album, le vendre, partir en tournée ». On avait le même rêve. J’avais plein de rêves de mon côté, mais à cinq, c’est devenu réalité. J’ai vécu les plus belles expériences de ma vie avec Breton, et j’ai aussi partagé mes pires moments avec ces mecs. C’est un peu comme quand tu as un accident de voiture avec quelqu’un : tu es lié à vie à la personne et tu ne perdras jamais ce lien. Je vois notre groupe de la même manière, même si on est effectivement très différents les uns des autres.