Effrontément jeunes mais déjà très savants dès leur premier disque, en 2010, les Montréalais Braids ont traversé l’enfer et en ressortent avec un impressionnant deuxième album aux chansons magnifiques, dédaléennes et plus électroniques. Rencontre et critique.
La valeur, dit-on, n’attend pas le nombre des années. L’adage est éculé, mais peut-être n’a-t-il jamais été aussi vrai qu’avec Braids. Le premier contact avec les Montréalais s’est fait en 2010, chez eux, lors du festival M pour Montréal. Stop. Relisons cette dernière phrase et regardons une photo du groupe, prise cette année : une faille dans l’espace-temps nous joue des tours. Encore gamins en 2013, ils ne pouvaient que traîner sur les bancs de l’école primaire en 2010, certainement pas dans une salle de concert, encore moins sur scène.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On n’a pourtant pas rêvé ce moment fascinant, épiphanique, pas plus qu’on a rêvé celui au Festival des Inrocks, un an plus tard, tout aussi magique. On n’a pas rêvé cette discordance étrange entre des visages poupons, des corps éternellement jeunes et la science, immense, se dégageant de la musique des Canadiens. On n’a pas rêvé du très beau premier album du groupe, Native Speaker (2011), de ses morceaux sans âge, arabesques complexes qui doit autant à Animal Collective qu’à Kate Bush, à Leila qu’à Grimes, au futur qu’aux psalmodies de tribus oubliées.
Braids non plus n’a rien rêvé. Le groupe a même, depuis Native Speaker, plutôt cauchemardé, traversant des épreuves qui auraient mis bien des aînés à terre mais qui ont fini par faire mûrir encore plus vite les jeunes gens. “J’ai dû lutter pour conserver ma stabilité mentale, explique sans fard Raphaelle Standell-Preston, 23 ans pour l’état civil mais la sagesse d’une centenaire en interview. Une dépression profonde, si profonde que je me suis parfois fait peur. Mais le plus important a été le départ de Katie. A la fin de la tournée de Native Speaker, nous nous sommes rendu compte que ça ne collait plus entre nous, et en particulier avec Katie, qui s’éloignait de plus en plus. Avec Austin et Taylor, nous avons décidé de continuer – mais cette décision n’incluait pas Katie. C’était très dur : nous étions des amies proches, depuis longtemps, et cette amitié a fini par se détruire. Mais nous savions que le groupe imploserait si nous ne rompions pas cette relation.”
Le groupe, en virant Katie Lee, n’a pas choisi de continuer. Il a choisi de mourir puis de renaître, neuf au monde. “Flourish // Perish, fleurir puis périr, ce cycle n’est pas unique : on naît et meurt, intimement, de nombreuses fois au cours d’une vie.” Pour Braids, désormais trio, la résurrection s’est faite électronique. “Nous avons exploré la musique électronique dans tous les sens, aussi profondément que possible. Elle s’est imposée à nous, naturellement ; nous n’avions en revanche aucune idée de la façon dont on la crée. Nous avons donc fait à notre manière. Nous voulions par exemple essayer de capturer les idées instantanées, souvent les plus puissantes, qui peuvent venir quand on répète ou quand on écrit, les accidents qui sont parfois ignorés quand on essaie de maîtriser un album au maximum comme on l’a fait avec Native Speaker, qui a fini par nous sembler trop clinique.”
Kaléidoscope sonique inédit pour le groupe, construction fascinante et pointilliste, Flourish // Perish dépasse le pourtant formidable Native Speaker de trois galaxies. Braids a, à la fois, affirmé son songwriting et a approfondi son savoir expérimental : les Montréalais écrivent de splendides chansons mais ne les laissent jamais tranquilles, embarquent leurs beautés dans d’infinis dédales synthétiques, les confrontent à des arrangements imprévus, les projettent contre des rythmiques indomptables. On aime se perdre dans ce labyrinthe multicolore et sensible : on pourrait ne jamais vouloir en sortir.
{"type":"Banniere-Basse"}