Il faudra bien qu’on en finisse un jour ou l’autre avec ce terme imbécile de “world music”. Soit en décrétant qu’il s’applique vraiment à toutes les musiques du monde, sphère anglo-saxonne incluse, soit en le remplaçant par une appellation moins hypocrite (“les musiques pas de chez nous” ? “les musiques de nos anciennes colonies’ ?), […]
Il faudra bien qu’on en finisse un jour ou l’autre avec ce terme imbécile de « world music ». Soit en décrétant qu’il s’applique vraiment à toutes les musiques du monde, sphère anglo-saxonne incluse, soit en le remplaçant par une appellation moins hypocrite (« les musiques pas de chez nous » ? « les musiques de nos anciennes colonies’ ?), qui aurait au moins le mérite d’expliciter toutes les connotations pas très reluisantes qu’il renferme.
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Le jour où nous lancerons cette grande croisade, nous demanderons à Rokia Traoré si elle veut bien faire partie de nos archers d’élite. Car son troisième album, Bowmboï, pourfend avec une insolente acuité tous les clichés grâce auxquels les vendeurs et les consommateurs de « musiques venues d’ailleurs » nourrissent leur épuisante rhétorique. Aussi sobre dans sa réalisation que téméraire dans ses partis pris, ce disque n’est pas seulement un antidote absolu aux infectes bouillabaisses sonores dont certains grands épiciers de la world se sont faits les spécialistes (cf. Youssou N’Dour). Il est aussi un pied de nez adressé à tous ceux qui voudraient parquer les musiques africaines dans une espèce de réserve naturelle coupée du monde, où l’homme blanc irait se ressourcer et se consoler des vicissitudes de la vie moderne.
Entière et un peu plus encore, puisque Traoré redimensionne et amende le terrain musical sur lequel elle avait édifié ses deux premiers disques. Suffisamment aéré pour que la luxuriance des arrangements ne soit en rien une surcharge, Bwomboï est un Mali-mélo acoustique et harmonieux, où la jeune femme exprime une fois de plus le désir de transformer la tradition de l’intérieur. Notamment en mariant des instruments (balafon, n’goni) qui, dans son pays, ont toujours fait chambre à part. Cette soif de mouvement, Traoré l’a notamment étanchée en enregistrant deux chansons casse-cou avec le très versatile Kronos Quartet. Remarquable d’équilibre et d’intelligence, le résultat est d’autant plus probant qu’il montre en filigrane à quel point les traditions de l’Ouest africain ont pu influencer la musique contemporaine américaine ? notamment Reich et Glass. Cette capacité à remporter les paris les plus risqués explique sans doute pourquoi la musique mobile de Traoré présente par moments de troublantes ressemblances avec les mélopées sans frontières de Susheela Raman.
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