Après trois ans d’attente, le rappeur sort ce vendredi 5 mars son nouvel album (le dernier ?) nommé ULTRA.
“Avant de charger, je regarde à gauche, à droite, comme un suricate.” Pas de doute, on est bien chez Booba. Sur son dixième album plus précisément, ULTRA, sorti ce vendredi 5 mars, et présenté par l’intéressé comme le dernier, B2O ayant décidé de se concentrer sur la promotion de jeunes artistes via son label, Piraterie Music, “comme Zinedine Zidane au Real Madrid” pour reprendre ses propos chez Brut.
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Lyriciste de génie
On vous arrête tout de suite : hors de question de nous ressortir le fameux “On n’est pas chez les Inrapuptibles” voire “On s’en fout de Booba, parlez-nous des Smiths”. Hors de question de devoir ré-expliquer une énième fois à quel point Booba est non seulement un pilier incontournable du rap français en termes de ventes (pas vraiment un argument d’intérêt, certes), mais surtout un lyriciste de génie. Depuis ses débuts avec Lunatic et l’incontournable et unique album du duo, Mauvais Œil, Elie Yaffa – de son vrai nom – aligne les punchlines fleuries de métaphores avec l’assurance de l’egotrip, sa grosse marque de fabrique. 27 ans plus tard, l’egotrip est toujours là, gonflé à bloc, quasiment parodique, tablettes de chocolat moulées sous un t-shirt prêt à craquer, besoin irrépressible d’être le meilleur et, surtout, de mettre la concurrence à genoux. Booba, c’est une vaste histoire de domination/soumission, une cavalcade après l’échec et mat.
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— Booba (@booba) March 4, 2021
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Quatorze titres
Attendait-on autre chose d’ULTRA ? Oui et non. Légère déception face à cet artiste qui manque de renouvellement, à un point tel que cela en devient presque intéressant. Pourquoi changer pour changer lorsque l’on maîtrise parfaitement une certaine forme ? Après tout, Booba poursuit sa course sur son autoroute : punchlines rondement menées, prods simples, presque dépouillées, doux mélange de sourire en coin et de sérieux, pas mal de “nique ta mère” et de “fils de pute”, classique, flow détendu et acéré. C’est calé. Quatorze tracks, sept en solo, sept en featurings avec SDM, JSX, Dala, Maes, Gato, Bramsito et une jeune chanteuse, ELIA – que nous avions programmée en showcase aux Inrocks Festival 2020 – sur Grain de sable. Piano et entrelacs de voix pour un duo bien trop classique pour émouvoir, mais pourtant gros potentiel de carton avec cette punchline déjà mythique : “l’artère principale est touchée”. Beau résumé d’une histoire d’amour.
Il faut naviguer dans ULTRA comme dans tous les albums de Booba, avec l’oreille tendue vers les textes. “J’ai pris des vagues impraticables”, “devenir un rocher, le rêve d’un grain de sable”, “on est plusieurs dans ma tête, on joue tous au même jeu”, “je travaille sur un projet de paix actuellement, j’suis en plein dedans/je vais d’abord calculer le nombre de fils de putes par habitant”, “jamais mordu la main qui m’a nourri, normal, c’est la mienne”, “est-ce que l’on peut s’appeler un orchestre si on joue tous de la guitare ?” ou encore “Jésus ne reviendra pas, il est cloué sur une croix en bois, en tout cas, moi je ne l’attends pas”, etc, etc.
En 2003, un article paru dans la revue de la NRF consacrait le style de Booba, le qualifiant de “metagore”, soit un mélange de métaphores et de gore. Un style vicieux, vicié, obscène, débordant de stupre, de claques et de mitraillettes. Un besoin de dire la violence de la vie (amour, haine, famille, en gros) en appelant des images mentales guerrières et légèrement paranoïaques (le propre de tout bon narcissique) soigneusement choisies. La langue de Booba s’est très tôt infiltrée dans notre langage quotidien, qu’il s’agisse des expressions “validé”, “OKLM” ou “garde la pêche”, c’est dire l’influence de son verbe tout en paradoxes, aussi gracieux qu’obscène, pornographique et mutilant, rugissant une colère sourde, qui semble ne jamais trouver assez de cibles pour assouvir sa soif de vengeance et de domination, à un point tel qu’on en perd le sens, le fil.
“J’irai aux Restos du Cœur quand ils auront deux étoiles Michelin”
Les meilleures tracks d’ULTRA sont les plus énervées, là où Booba joue au Booba, comme sur la première, GP, torrent charismatique d’un ego blessé mais toujours vaillant, solitaire capitaine d’un bateau-pirate au sommet du game sans jamais avoir joué le jeu, si ce n’est le sien, et tant pis pour celles et ceux qui ne suivraient pas. “J’irai aux Restos du Cœur quand ils auront deux étoiles Michelin/J’respecte pas les nouveaux, ni les anciens, je suis l’ancêtre/Sauvage comme l’ancienne RDA, la route pavée de traîtres/J’me tue quand j’ai besoin de naître/J’ai multiplié les naissances, maintenant on est trop, que des Fidel Castro.” assène-t-il, la confiance tranquille.
Booba, c’est l’histoire d’une grande solitude, celle qui s’est formée sous l’encombrement d’un ego surdimensionné, mais surtout performatif : à force de clamer qu’il est le meilleur, Booba s’assoit de facto sur le trône, bien décidé à imposer sa propre réalité, quitte à se ridiculiser un peu parfois à force de crises enfantines et de clashs sans fond quand le monde traverse une crise collective qui détruit les corps et les âmes. Un peu de recul ne ferait, en définitive, pas de mal. Et pourtant, on parie que la digestion d’ULTRA, aussi lente que la vengeance qui se mange froide, nous révélera quelques éclats de génie qu’une dizaine d’écoutes matinales et à chaud n’ont pas totalement révélés…
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