Dix ans après son premier album solo, Booba nous a reçus à domicile dans son duché de Boulogne. Au menu : son sixième album « Futur » (qui sort le 26 novembre ndlr), son regard sur le rap français, son enfance dans les Hauts-de-Seine, sa passion dévorante pour « The Wire » et la fierté de porter ses propres caleçons.
Quels sont les temps forts de ta carrière solo ?
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Dans ma carrière solo, je n’ai connu que des temps forts. Chaque album a été attendu. A chaque sortie, il y a de la tension et une certaine pression. Mais comme à chaque fois, j’ai bossé comme un dingue et je suis satisfait du résultat. Une fois que le processus d’écriture est terminé, l’album vit sa propre vie, je finis par m’en détacher. Avec la promo, je peux souffler, je suis passé à autre chose dans ma tête.
Futur marque t-il un tournant ?
Avec Futur, j’ai surtout voulu montrer que je continuais à avoir un coup d’avance. J’essaye d’être dans l’anticipation quand j’écris. J’ai pas l’habitude de suivre la tendance du moment, je préfère imposer la mienne.
Dans Pirates, tu dis que « la concurrence existe peu » dans le rap français. Tu en écoutes encore ?
Ecouter c’est un bien grand mot mais je me tiens au courant de tout ce qui se fait ouais. Même si je suis aux Etats-Unis, je reste informé. Mais aujourd’hui, il y a plus rien qui me met vraiment la pression artistiquement en France. Je trouve ça un peu pauvre musicalement, il n’y a pas grand-chose qui m’impressionne malheureusement.
Dans Wesh Morray, tu dézingues Willy Denzey en répétant en boucle son nom. C’était un apéritif pour introduire l’album ?
C’est un dommage collatéral parce qu’il a rappé avec l’une de mes phrases mais il n’y a rien de personnel. Même s’il n’est plus trop dans le game, son nom est encore vivant donc je me suis permis quelques saillies.
Rohff s’est senti visé également par cette chanson. Avait-il des raisons de l’être ?
Non, il s’est excité tout seul car il n’était pas concerné par ce son. Maintenant après son passage dans Planète rap où il s’en est pris à moi, il a désormais des raisons de se sentir visé. J’ai l’impression qu’il a besoin de s’en prendre à moi pour exister musicalement. Aujourd’hui, je n’ai plus envie de parler de lui.
Sur cet album comme depuis 0.9 (quatrième album solo de Booba ndlr), beaucoup de tes morceaux sont autotunés. Pourquoi ce choix ?
L’autotune a été beaucoup critiqué au début mais aujourd’hui beaucoup de rappeurs français s’y sont mis. Pour moi c’est un kiff, un vrai choix artistique. J’aime bien mettre de la réverb’ sur ma voix, ça me permet de chanter, de créer mes propres mélodies sans avoir besoin de faire appel à quelqu’un. Je ne me pose même pas la question de savoir si c’est critiqué ou pas. J’aime donc je le fais.
Encore une fois dans Futur comme dans tes albums précédents, on ressent l’apport de Therapy à qui tu dois certains de tes meilleurs sons (A3, Kojak)
Entre nous, il y a une vraie fusion artistique, on se complète bien. Mon univers, mon état d’esprit, ma mélancolie et ma noirceur colle bien avec lui. Nos sensibilités artistiques sont assez proches.
Parmi les featurings de l’album, on retient celui avec Kaaris sur le titre Kalash. Tu penses quoi de lui ?
Le morceau avec Kaaris est particulièrement violent. C’est vraiment quelqu’un en qui je crois, je sens qu’il est prêt pour la guerre artistique. Le rap c’est un sport de contact, il faut avoir la mentalité de la rue. Kaaris la possède. Il est frais, motivé, il a faim, il est talentueux et il s’améliore constamment. Je pense que son prochain album qui sortira en 2013 sera très bon.
Un album commun est envisageable ?
Non je ne pense pas car c’est pas trop mon truc mais multiplier les collaborations sans doute. Déjà il est dans mon album et je vais apparaître dans le sien. C’est un bon début.
Rohff te reproche d’utiliser de jeunes artistes en featuring mais de les mettre peu en valeur au final.
Et lui, il a mis qui en valeur ? Je n’ai pas envie de m’étendre sur son cas car il a l’art de faire du buzz sur mon dos. Tout ce que je peux dire c’est que lorsque des jeunes artistes signent des featurings avec moi, ça leur donne une visibilité qu’ils n’ont pas forcément. J’essaye de leur apporter mon expérience, mon vécu. En me voyant travailler, ils peuvent comprendre des trucs et de la même manière j’apprends des trucs en bossant avec eux. Dans le rap pour faire ses classes, il faut savoir multiplier les collaborations.
Pourquoi as-tu arrêté de bosser avec Nessbeal ?
Humainement ça ne collait plus donc on a arrêté. La vie c’est aussi simple que ça, parfois.
Dans une interview à l’abcdr du son, tu as dit que tu aimerais bien faire un titre avec Rihanna. Ça te semble pas utopique ?
J’aime beaucoup ce qu’elle fait et j’ai vraiment envie de faire un morceau avec elle. C’est un projet qui me semble envisageable mais ça va coûter cher (rires).
Pourquoi tu ne fais plus appel à Animalsons pour tes prods ? On se rappelle que dans ton album Ouest-side, votre collaboration avait été particulièrement fructueuse (Gun in Hand, Garde la pêche, Boulbi, Ouest-side)
Au départ, ils étaient deux et puis ils ont fini par se séparer. Depuis leur scission, je n’ai pas retrouvé la même chose. Il faut également dire qu’ils m’envoient un peu moins de musique que par le passé.
Qu’est-ce qui te nourrit culturellement ?
La réalité de la vie, tout simplement.
Ce n’est pas difficile de trouver l’inspiration alors que ton quotidien a changé ?
Non car c’est en toi. Tu n’as pas besoin de mener la même vie qu’avant pour pouvoir en parler. Si tu as été en taule, tu n’as pas besoin d’y retourner pour écrire dessus.
Comme dans 0.9, tu fais référence à The Wire dans cet album. C’est une série qui t’inspire ?
Ce n’est pas que ça m’inspire, c’est juste que lorsque je regarde cette série, j’ai l’impression de tenir le bloc avec eux. The Wire est une série hyper réaliste. C’est la meilleure chose que j’ai pu voir sur le petit écran. Le rythme est assez lent, il n’y a pas des explosions dans tous les coins. Quand tu commences à regarder ça, tu te dis que tu peux décrocher. Il faut faire un effort intellectuel pour rentrer dans l’ambiance. Mais au bout de quelques épisodes, tu ne regrettes pas cet investissement et tu comprends que c’est du génie.
Dans Futur, tu te compares à Marlo Stanfield (un caïd qui finit par régner sur les rues de Baltimore ndlr), c’est le personnage dont tu te sens le plus proche ?
Mon personnage préféré c’est sans doute Omar Little mais il ne me ressemble pas du tout (rires) (Omar est un braqueur de dealers homo qui se balade toujours avec un fusil à pompe ndlr). Je pense être un mélange de Marlo, de Chris Partlow et de Bodie Broadus.
Ca te rappelle des choses que tu as vécues ?
Oui, j’ai retrouvé des trucs de mon enfance dans cette série. Quand tu vois les jeunes squatter sur des canap’ ou tenir le hall, le fait de ne pas jouer les balances, le rapport aux flics, la peur de se faire coffrer, l’exemple que peuvent représenter les grands dans le quartier, forcément ça me rappelle des choses.
Dans Futur, tu parles beaucoup de Bram’s (suicidé en 2011) qui était présent sur tous tes albums précédents. Dans le morceau 2pac, on ressent la tristesse que tu as pu éprouver lors de sa disparition.
C’était comme mon frère. Je l’ai connu alors que je devais avoir 16 ans par l’intermédiaire de sa sœur qui était avec moi en BEP. Sa famille est devenue ma seconde famille. Il a joué un rôle de grand frère et de modèle. Notre relation allait au-delà de la musique. Aujourd’hui sa disparition m’oblige à me surpasser, à être plus fort. C’est ce qu’il aurait souhaité et c’est ce que j’ai l’intention d’accomplir.
Vous avez vécu toute votre enfance ensemble au Pont de Sèvres à Boulogne, tu gardes quels souvenirs de cette période ?
Malgré le fait qu’on galérait et qu’on foutait rien à part fumer des joints et dire des conneries toute la journée, j’en garde de très bons souvenirs. Même lorsque je chopais une meuf, je pensais toujours à ce qui se tramait au quartier. Et j’étais même prêt à laisser la meuf pour retourner au quartier s’il le fallait. C’était la bonne époque, c’est là que j’ai grandi, j’ai appris beaucoup de choses. Ma personnalité est le produit des expériences vécues là-bas.
Depuis quelques années, l’Etat a consenti de gros efforts pour la rénovation urbaine des quartiers. Est-ce que cela va dans le bon sens, selon toi ?
Il y aura toujours des quartiers. Il faut faire des efforts pour ceux qui veulent s’en sortir et faire en sorte qu’ils n’aient pas à embrasser le côté obscur. Maintenant, il faut aussi savoir qu’il y a des personnes qui choisissent de rester au quartier. Tu peux rénover, mettre des terrains de basket à droite, à gauche, ça ne changera rien. Comme dirait Arnold et Willy, « il faut de tout pour faire un monde ». Il y en a qui choisissent le droit chemin et d’autres des chemins plus tortueux.
Tu t’intéresses assez peu à la politique…
Je ne suis pas un rêveur, je n’attends pas un changement de Président pour changer ma façon de vivre. J’essaye de la changer par moi-même. Je prends mes couilles et mes jambes à mon cou, je me lève et je me bats.
Comment tu vois la suite de ta carrière ?
Je pense faire encore quelques albums. Ensuite je pourrais envisager de produire ou bien de m’arrêter. Ça ne me dérange pas de penser à l’arrêt de ma carrière. Le rap n’a jamais été une fin en soi pour moi.
Tu t’imagines comme AKH poursuivre après 40 ans ?
Ouais ça ne me dérangerait pas mais je préfère me référer à Jay-Z. Sans vouloir casser du sucre sur AKH, il continue mais il n’est plus au top alors que Jay-Z continue de survoler le rap game. Perso, je me dis que tant que ma musique est fraîche et continue à plaire à un mec de 40 ans comme à un mec de 18 piges, je peux continuer. Tant que je n’ai pas l’impression d’être has-been, que mon son cogne, qu’il est joué en boite, qu’il est écouté par les grands et les moins grands, je me dis qu’il n’y a pas d’âge limite.
Le regard par rapport au hip-hop est vraiment différent aux Etats-Unis
Oui c’est clair, là-bas tu peux voir une grand-mère de 60 ans remuer ses fesses sur In da club, c’est une autre culture. 50 cent c’est comme Johnny Hallyday pour les ménagères de plus de 60 ans chez nous.
Tu écoutes quoi comme rappeurs US ?
Kanye et Jay-Z, 2 chainz, Rick Ross, French Montana, pas mal de monde.
Dans Kalash, tu te demandes « Qu’est ce que je vais faire de toute cette oseille ». Tu as quelques idées ?
Le dépenser. Une partie intelligemment et une partie n’importe comment (rires). L’argent c’est que du papier. C’est que des accès pour faire des trucs. Une fois que tu as pensé à ta famille et à tes proches, tu as le droit de t’éclater.
Avec ta marque de sapes Ünkut, tu es devenu un vrai patron d’entreprise.
Dans le rap ou les fringues, j’essaye de me comporter en patron. Il se trouve que ça marche plutôt bien, on va bientôt atteindre les 50 salariés. J’essaye de surveiller ça de près même si je m’occupe surtout du style, du côté artistique plutôt que des démarches administratives. Je valide les modèles et les coupes. Le nom Ünkut veut dire « pas coupée » comme un film non censuré. C’est l’idée de liberté, d’insoumission, qui m’a plue.
Comment tu en es venu à t’intéresser à la mode ?
Je suis un amateur de hip-hop. Et par définition, le hip-pop, c’est la musique et le style. Même quand il n’y avait pas encore de clips vidéos, les mecs faisaient attention à leur style. Aujourd’hui de la tête aux pieds, je peux m’habiller avec mes sapes, caleçon inclus (rires). Je suis fier de mettre mes propres vêtements. C’est comme si demain, je voulais une voiture et que je pouvais la fabriquer. C’est fou quand tu y réfléchis.
http://youtu.be/Q611eaqBk-g
Dans une vidéo postée sur Youtube, ton père est revenu sur ta carrière. Ça t’a fait quoi de le voir s’exprimer là-dessus ?
Ca m’a fait rigoler. J’ai reposté la vidéo car involontairement, il répondait à beaucoup de questions que les gens se posaient sur mes origines ou sur mon niveau d’étude. Avant des mecs disaient que j’avais été à la fac aux States, il a pu répondre à ce genre de conneries qui étaient véhiculées sur moi (Dans la vidéo, son père déclare notamment : « Les paroles de Booba je ne sais pas où il va les chercher. Il n’est pas allé loin à l’école. D’où lui vient une cervelle comme ça ? » ndlr). Je n’ai grandi qu’avec ma mère donc j’ai peu connu mon père. Durant mon enfance, ce sont surtout les grands frères et la rue qui ont fait mon éducation.
On apprend aussi que ta mère ne t’écoute pas. Ça t’attriste ?
Non au contraire, je trouve ça bien, je suis incapable d’écouter une de mes chansons devant elle. Avec toutes les vulgarités que je balance, elle est interdite de concerts. C’est une forme de pudeur. T’imagines si elle me voyait déambuler torse nu avec des chaînes en or, je peux pas, sérieux.
Propos recueillis par David Doucet
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