La cité balnéaire normande accueillait la quatrième édition du festival Cabourg, mon amour, ce week-end. On est allé y assister à l’éclosion d’une scène française pleine de promesses, en s’offrant pour l’occasion un tête à tête avec celle qui surfe avec le plus de style sur la nouvelle vague r’n’b : Bonnie Banane.
Cabourg nous a donné beaucoup de raisons de tomber amoureux ce week-end. Un festival vécu pieds nus dans le sable à moitié chaud, la Manche à l’horizon, avec deux scènes qui ont vu défiler la fine fleur de la musique française nouvelle génération. La romance dansante de Paradis, l’élégante Fishbach et ses airs de Catherine Ringer, Hijacked, le duo soul/electronica formé par Clément Bazin et Jésabel, solaire sur scène. Côté international, le trio australien Jagwar Ma a sans surprise livré un set hallucinatoire tandis que les Anglais de Lost Under Heaven nous ont fait l’effet d’une baignade intense en eaux troubles.
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En marge de ce joli monde, Bonnie Banane a dépassé toutes nos espérances. Difficile de savoir à quoi s’attendre avec cette jeune artiste française bien mystérieuse. Sur la scène Greenroom, samedi en fin d’après-midi, vêtue d’un pantalon noir trouvé dans la rue, Bonnie Banane a des airs de grande prêtresse prête à délivrer un sermon rn’b hyper bien calibré. En plein milieu du déroulé de ses deux Eps, Greatest Hits et Sœur Nature, Bonnie lance une minute de silence. On ne saura pas pourquoi, elle non plus. « Le climat« , peut-être. On ne pouvait pas quitter la Normandie avant d’en savoir plus sur ce pendant indé qui prédit les beaux jours du r’n’b français.
La sexualité, la musique engagée, ton côté théâtral… Tu es un peu une sorte de Brigitte Fontaine jeune en fait?
– Bonnie Banane Je la trouve incroyable. Elle manie bien les tons. Elle nous fait des doigts d’honneur. J’adore. C’est pas non plus un manque de respect, elle est contente d’être là. J’aime beaucoup cette femme, sa manière d’écrire.
Comme elle, tu joues beaucoup sur un côté très décalé…
C’est pas que je joue dessus, c’est automatique. Je suis plus à l’aise comme ça, c’est une forme de pensée : tu affirmes quelque chose, mais tu peux concevoir l’inverse juste après. Une sorte d’incertitude constante que j’ai. Il y a plusieurs couches de réalités et de vérités, de registres et de tons.
Photo Morane Aubert
Tu as fait le Conservatoire national de théâtre. Est-ce que parfois tu as l’impression de jouer un rôle sur scène?
Je ne joue pas quelqu’un que je ne suis pas. Mais être sur scène c’est un délire quand même. C’est pas normal. Quand t’y penses, des gens qui sont sur scène devant une foule, c’est bizarre comme agencement. Il faut essayer d’être présente et de redécouvrir tes morceaux.
A 17 ans, tu quittes la Bretagne pour venir t’installer à Paris. Tu peux revenir sur cette période ?
J’étais toute seule pendant un an. Je faisais des études de cinéma, je mangeais des nuggets, j’habitais dans une chambre chez l’habitant et je suis entrée au conservatoire en 2011. C’était pendant la grève des CPE à laquelle je comprenais rien, du coup j’ai fait une école de théâtre parce qu’à la fac il n’y avait pas de cours. J’ai eu une super expérience cinématographique en tant qu’actrice. On m’a incité à passer le concours du conservatoire. Je l’ai eu, mais j’aime pas trop en parler. Je ne m’appelle pas Bonnie Banane au théâtre.
Qu’est-ce que tu penses du r’n’b français aujourd’hui ?
J’ai vu passer des articles qui parlait de l’âge d’or. Je ne suis pas journaliste mais je sais que j’ai des copines qui sont chanmé, très talentueuses et que je soutiens.Ta-Ha ou Sabrina Bellaouel par exemple. Par contre, j’en connais peu qui chantent en français. Le challenge m’intéressait, c’est une langue qui groove difficilement.
De quoi aimes-tu parler dans tes textes?
Le truc qui revient, hélas, automatiquement, l’amour quoi. Le geste. Chanter c’est un espèce de don de soi. C’est pas pour rien qu’il y a autant de chansons d’amour : tu fais un geste vers l’avant, de désir, d’envie.
Photo Morane Aubert
C’est aussi un thème privilégié pour les artistes r’n’b…
J’ai relu les paroles de Love Like This de Faith Evans, c’est tellement beau même si c’est simple. Ce que j’aime, ce que je recherche, c’est la simplicité. Je n’aime pas les chansons pédantes, où il y a des mots que les gens ne vont pas comprendre. Ce qui m’intéresse, ce que j’ai expérimenté dans Sœur Nature, ce sont les couches de compréhension et voir l’humour qui peut en sortir.
L’humour et le second degré que tu aimes d’ailleurs particulièrement pratiquer dans tes morceaux et dans tes clips ?
Plutôt de l’autodérision. Dans Leonardo typiquement, en apparence c’est naïf. Une femme qui adule un homme, qui est un acteur, une figure symbolique, un héros mais elle y croit pas vraiment. A quoi on croit, ce en quoi on a foi. C’est ça qui m’intéresse.
On sent une emprunte années 90 dans tes morceaux, ça vient d’où ?
J’en ris maintenant car on me met grave dans la case des années 90, on m’affilie à ça, c’est un point de vue. Mais je pense pas que ça sonne comme dans les années 90, ou alors c’est inconscient. C’est probablement le clip de Champs Elysées qui a marqué les esprits. Comme c’est devenu une mode en plus, on m’a mis ça comme emprunte. Mais ce n’est pas ma préoccupation.
Greatest Hits, ça sonne quand même plutôt 90’s comme titre d’EP ?
A la base ça devait s’appeler Greatest Tits. J’ai hésité et à la fin j’ai mis le H.
On peut quand même dire que tu es une férue du r’n’b américain à l’ancienne ?
Même avec le premier EP je n’ai pas eu envie de faire du r’n’b américain, c’est juste que c’est ce que j’écoute le plus. Faith Evans, TLC, Janet Jackson par exemple.
Tu ne sors tes compositions que sur des labels indépendants, est-ce que tu te méfies de la grosse industrie musicale?
Je ne connais pas ce milieu en fait. Je ne m’y intéresse pas. J’attends rien d’eux. J’ai jamais eu de propositions concrètes. Mais si on essaie de me faire faire des choses, ou de m’imposer quelque chose que je ne veux pas, je peux te jurer que ça ne marchera pas. Parce que je ne serai pas bonne.
Weird Data fait parti de ces labels avec lesquels tu travailles depuis tes débuts…
Il a été fondé par Walter Mecca avec qui j’ai commencé pour Muscles et Champs Elysées. Je lui dois beaucoup en fait. C’est un ami de longue date. On sort un nouveau projet plus touffu en janvier. C’est un érudit de la musique, un autodidacte qui a logiquement monté sa propre structure. J’habite avec lui aujourd’hui, c’est mon époux.
Tes compositions, c’est toi et toi seule?
J’ai commencé en composant toute seule. Mais je suis pas une geek, les producteurs avec lesquels je bosse, je trouve qu’ils sont plus talentueux que moi en terme de qualité sonore du coup j’ai arrêté de produire. Je ne vais pas faire la mytho. J’ai des idées, je me débrouille, mais là je me concentre plus sur l’interprétation et les paroles.
Tu as sorti cette année le morceau Statue, après tes deux précédents EP. C’est extrait d’un premier album ?
Non, Statue c’est un bonus de l’EP Soeur Nature, que j’ai produit avec Gautier Vizioz. En septembre, je sors un mini EP avec un ami de L.A. Si un jour je fais un album j’aimerais qu’il soit homogène. Comme les albums que j’ai kiffé moi. Je veux que chaque chanson soit chanmé, qu’il n’ y en ait pas une en dessous du lot.
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