Le passé définitivement liquidé, Morrissey entretient le service après-vente minimum, impuissant à rallier qui que ce soit de nouveau à sa cause (perdue ?) depuis la mort malgré lui de ses Smiths. Mort du groupe et mort de lui-même, surtout, tant il avait réquisitionné sa vie et ses rêves pour l’ambitieux échaffaudage, sa merveille, sa […]
Le passé définitivement liquidé, Morrissey entretient le service après-vente minimum, impuissant à rallier qui que ce soit de nouveau à sa cause (perdue ?) depuis la mort malgré lui de ses Smiths. Mort du groupe et mort de lui-même, surtout, tant il avait réquisitionné sa vie et ses rêves pour l’ambitieux échaffaudage, sa merveille, sa perte. Johnny Marr parti, Mozzer transi tente de faire croire que la vie continue. Comme un amant délaissé, il envoie à l’autre ces cartes de chagrin qui se veulent vengeresses : Je peux exister sans toi. Sans conviction : Morrissey peut papillonner d’une collaboration à l’autre, voler de Stephen Street à Suggs, de Vini Reilly à Mark Nevin, tout n’est que flirt et illusion. L’amour, lui, est loin derrière. Morrissey laissé pour mort, reste son fantôme, perdu dans le jeu dangereux des miroirs, se débattant entre pathos et parodie, comme sur l’extraordinaire vidéo de November spawned a monster : un Morrissey possédé y danse jusqu’à la transe, jusqu’à la mort. Death of a disco dancer.
On vit alors au rythme de son chaos. Impossible, dans ces conditions, de concevoir d’album : trop d’instabilité pour se concentrer en longueur, pour retenir une humeur. On enregistre donc, au gré des rencontres et des dispositions fugaces, des singles en forme d’étapes. Le premier album, Viva hate, donnait déjà une impression de versatilité, de zig-zag. Bona drag, compilation avouée, confirme ce sentiment de précarité, de traumatisme. Même si indispensable à quiconque n’a pas entendu ces glorieuses étincelles d’orgueil que sont November spawned a monster, Last of the famous international playboys ou Everyday is like sunday, ce carnet de bord de trois ans de dérive sent pourtant le citron pressé jusqu’à la pulpe : un inédit seulement, oubli scandaleux de certaines b-sides… Là, plus question de fanfaronner comme aux temps bénis de la prodigalité. Depuis le jour maudit du réveil sans l’autre, on a du mal à joindre les deux bouts de chansons, on épuise les ficelles et la fierté.
Morrissey, incapable de trouver ces guitares de rêve qui hier faisaient chanter ses mots, se contente d’accepter passivement l’aide médicale de musiciens –nounous. Chemin douloureux et désemparé, vécu en d’autres temps par Lou Reed. Morrissey, privé de son Velvet à lui, cherche toujours l’élévation infidèle. Coïncidence ou destin, c’est vers Bowie que Mo est allé ? comme Lou Reed vingt ans avant lui ? chercher cet été un peu de compréhension.
En attendant le prochain abysse dépressif, le voilà ragaillardi, rêvant de tournées, de disques faciles, de lendemains qui chantent, enfin. On priera donc en attendant ses Transformer et Berlin à lui.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Archives du n°25 (sept.90)
{"type":"Banniere-Basse"}