Deux albums qui, sous couvert d’écologie, pasteurisent les musiques du monde. Bienvenue dans un monde où l’homme, la nature et le marketing de pointe vivent en harmonie. Où, au rayon cosmétique du supermarché, les laboratoires rivalisent en imagination pour vous enduire de rêve quand on ne demandait qu’à faire provision de savon-douche pour le mois […]
Deux albums qui, sous couvert d’écologie, pasteurisent les musiques du monde.
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Bienvenue dans un monde où l’homme, la nature et le marketing de pointe vivent en harmonie. Où, au rayon cosmétique du supermarché, les laboratoires rivalisent en imagination pour vous enduire de rêve quand on ne demandait qu’à faire provision de savon-douche pour le mois (dernière gamme proposée: Planète Ushuaïa, aux écorces de Yuzu du Japon ? flacon vert aux feuilles de Melaleuca d’Australie flacon blanc). Même à l’heure de la toilette, l’exotisme doit régner comme loi fondamentale de l’intensité de la sensation, de l’exaltation du sentir, du vivre plus. Mais n’y a-t-il pas plus sûrement tout un abîme de désenchantement béant sous nos semelles occidentales à devoir ainsi travestir nos actes les plus anodins ? Et, dans la mesure où la saveur croît en fonction de la différence, un terrible danger à vouloir plonger l’irréductible étrangeté des goûts comme des cultures dans la banalité universelle, dans l’homogénéisation totale du monde ? Au rayon disques du supermarché, la World Company vous propose ce mois-ci le nouvel album de Deep Forest, duo français de world-music tendance new age qui, après l’exploration sonore des continents africain et sud-américain, propose une excursion virtuelle à travers les impénétrables mystères de l’Est. Comme le promet l’argumentaire rédigé à la manière d’un dépliant touristique, vous y découvrirez un nouveau territoire englobant « la Hongrie, la Biélorussie, poussant jusqu’à Taiwan et la Mongolie ». Ce n’est plus du concept artistique, c’est de la géopolitique soft. Cette croisière jaune est menée sans heurt, sur coussin d’air, sans risque de crevaison ni d’attaque à main armée, sans même les aspérités et les contrastes des langages musicaux, consciencieusement lissés sous la caresse aseptisée des nappes et des rythmes de synthèse. Et surtout, sans la souffrance et donc sans le vécu de ces peuples sur le patrimoine duquel on pratique la technique du couper-coller chère à nos portables.
Même politique, mais horizon différent avec Indian Spirit qui utilise les chants sacrés des tribus indiennes d’Amérique du Nord pour en décorer des boucles à la dynamique incertaine. Un disque qui, en outre, fait oeuvre de charité chrétienne en rétrocédant une partie des bénéfices générés par sa vente à des organisations caritatives fondées pour la survie des tribus indigènes. Voilà le genre de productions qui, sous des airs anodins d’altruisme culturel, contribuent à écraser un peu plus les différences qu’ils sont supposés défendre, à anéantir l’altérité qui fait du monde un lieu de séduction et d’échanges. Le malheur de ces cultures, c’est de n’avoir jamais prétendu à l’universel, d’avoir vécu leur singularité, leur exception, l’irréductibilité de leurs rites sans se bercer de l’illusion de pouvoir les réconcilier avec le reste du monde.
Le malheur, c’est que la World Company y a pensé à leur place.
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