Dans cette suite logique de ses deux précédents albums, Bob Dylan poursuit sa recension des standards prérock de la musique américaine.
D ans la rare et passionnante interview mise en ligne sur son site, le prix Nobel de littérature prouve qu’il mériterait aussi le Pulitzer de la rock-critic en théorisant le lien entre la genèse du rock et l’âge atomique. Mais, pour le moment, sous sa casquette de chanteur, Dylan semble plus que jamais préoccupé par l’ère prérock, mais pas par sa traditionnelle obsession folk-blues. Après Shadows in the Night et Fallen Angels, revoilà une triple louche de standards de la musique dite Tin Pan Alley. C’est aussi étonnant que si Godard se lançait dans les remakes “respectueux” de tous les classiques de Ford ou Walsh.
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Voilà donc alignés comme à la (hit) parade du top ten des années 1930-1940 les September of My Years, Stormy Weather, As Time Goes by, Stardust ou autres These Foolish Things, rangés en trois séquences dessinant une longue nuit qui s’intitulent “‘Til the Sun Goes down” (“Jusqu’au crépuscule”), “Devil Dolls” (“Femmes fatales”) et “Comin’ Home Late” (“Retour tardif au foyer conjugal”). S’il n’y a plus l’effet de surprise de Shadows…, tout cela reste sublimement inactuel. Les chansons, pas la peine de les vendre, c’est de l’or pur, et les songwriters velléitaires d’aujourd’hui peuvent encore s’échiner longtemps avant d’atteindre ne serait-ce que le dixième de ce niveau de concision et de profondeur existentielle. Les arrangements, c’est du velours bébé, de la plume d’oie, du taffetas, du swing tout en légèreté, battu en neige par des virtuoses du less is more.
Et la voix du Zim est redevenue passionnante, émouvante, à mi-chemin entre le croon satiné et le timbre éraillé du bluesman qui a clopé toute sa vie et n’a pas sucé que de la glace, réinterprétant les saintes écritures à l’aune de sa vie à lui. “Comin’ Home Late” peut aussi s’entendre, selon les propos de Dylan, comme ce “retour tardif à la musique qui a bercé mon enfance, qui a enchanté mes parents, qui a peut-être aidé à ce qu’ils me conçoivent…” Le type qui a inventé l’âge moderne de la chanson américaine revient finalement, et en beauté de boucle bouclée, à son âge classique. Disque de fin de soirée et de soir de la vie, de temps retrouvé. Après Godard, Proust. Que dire d’autre ? Rien.
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