On (re)découvre ébahis un album méconnu et incompris de Bob Dylan, enrichi d’inédits merveilleux et nombreux. Critique et écoute.
« C’est quoi cette merde !”, écrivait Greil Marcus en 1970 à propos de Self Portrait, album considéré comme étant l’un des plus erratiques de son auteur. D’où la magnifique surprise : dixième volet du beau travail d’exhumation de la discographie occulte de Bob Dylan, Another Self Portrait est le meilleur des Bootleg Series, du grand Dylan, enfin parvenu à nos oreilles après un sommeil de plus de quarante ans.
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1970 : on sort d’une décennie au cours de laquelle Dylan a révolutionné le rock et la culture, atteint des sommets malsains de popularité, puis subi un accident de moto en 1966 après avoir livré Blonde on Blonde. A l’aube des seventies, les fans sont décontenancés par ce Self Portrait bigarré, dilettante, à l’image de l’autoportrait peint en couve. Aujourd’hui, ce chinage aléatoire dans tous les chemins vicinaux de la musique nous touche, d’autant que les chansons sont loin d’être mauvaises, même si souvent gâchées par des arrangements lourdingues.
Remastérisé et faisant ici l’objet du quatrième CD1, Self Portrait s’écoute comme un document d’époque sans toutefois être le sommet du coffret. La malle aux trésors, ce sont les deux premiers CD, composés d’inédits, outtakes et alternate takes de Self Portrait, New Morning (1967) et Nashville Skyline (1969). Sur des arrangements dépouillés, Dylan, seul ou accompagné d’un guitariste (par deux fois George Harrison) ou du grand Al Kooper au piano, touche à tout : folk, country, blues, showtunes…
La prise de son est fabuleuse, Dylan semble chanter au creux de notre oreille, au meilleur de sa voix : tantôt le fameux flow sinusite de Blonde on Blonde ou Highway 61, tantôt le country croon trempé au miel de Nashville Skyline Rag et Lay, Lady, Lay. Comment Dylan a-t-il pu écarter des merveilles comme Pretty Saro ou Thirsty Boots, ne pas choisir ces versions épurées de Days of 49, Alberta ou Went to See the Gipsy ?
A l’image des superbes sessions photo du livret (l’objet est topissime et marque un gros point contre la dématérialisation de la musique), c’est un Dylan décontracté et se ressourçant dans la campagne de Woodstock que l’on entend, loin des foules et du rock-biz. Un Dylan qui cherche la porte de sortie des sixties et de sa mythologie. Les Beatles l’avaient trouvé en splittant. Plus difficile pour Dylan de se séparer de lui-même, mais c’est cet effort que l’on entend ici. Comme l’écrit avec humour Michael Simmons dans un des textes du coffret, Dylan écrivait peu en 1970, préférant s’en remettre à Monsieur Domaine public. Certaines des chansons sont donc des traditionals que Dylan, inventeur du songwriting moderne, a réarrangés et réinterprétés.
C’est aussi là que se joue la magie de ces sessions : en se replongeant dans la musique de son adolescence, Dylan réalise le splendide autoportrait d’un dieu qui veut redevenir simple musicien. L’affaire est complétée par un live à l’île de Wight en 1969 avec les fidèles pistoleros du Band. Mirifique coffret, en attendant l’intégrale rééditée – voire le Inside Llewyn Davis des frères Coen. 2013 serait-elle une année Dylan de plus ?
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