Grand ordonnateur de la salle des machines, à la fois homme de l’ombre et de la lumière musicale d’IAM, Imhotep aime aussi voyager en solitaire. Blue print, sa première escapade, déroutera l’auditeur de hip-hop mais ravira l’explorateur. A la tempête du désert succède l’ambient du désert. En 87, j’ai entendu Eric B & Rakim. Ce […]
Grand ordonnateur de la salle des machines, à la fois homme de l’ombre et de la lumière musicale d’IAM, Imhotep aime aussi voyager en solitaire. Blue print, sa première escapade, déroutera l’auditeur de hip-hop mais ravira l’explorateur. A la tempête du désert succède l’ambient du désert.
En 87, j’ai entendu Eric B & Rakim. Ce fut un choc musical, au même titre que toutes les nouvelles productions de rap utilisant des musiques échantillonnées. A l’époque, j’étais instituteur
et j’ai fait un emprunt pour me payer un sampler. J’ai alors pris l’habitude de créer mes sons tout seul à la maison. » Le hip-hop américain fait alors une nouvelle victime. Avec la découverte du sampler, les possibilités de création sonore s’avèrent alors infinies comme en témoignera plus tard l’impressionnante armada discographique déployée par son groupe IAM, qui semble tout ignorer de la panne d’inspiration ou du syndrome de la feuille blanche. « C’est plutôt le temps qui manque pour bosser tranquillement », regrette Imhotep. Car après Akhenaton, Kheops et Shurik’n, c’est au tour du grand ordonnateur des machines et de l’informatique du groupe phocéen de se jeter dans l’aventure solo. Contrairement au modèle new-yorkais Wu-Tang Clan qui, pour chaque nouveau projet solo, décline inlassablement la même recette concoctée par le même producteur avec des invités qui seront immanquablement les prochains sur la rampe de lancement de l’écurie , IAM étonne. On devrait même dire IAM détone, tant le groupe prend au pied de la lettre le principe d’album solo, allant jusqu’à le décliner en solitaire pour mieux permettre à chacun de laisser épanouir sa propre personnalité. On a ainsi vu Akhenaton réussir idéalement sa quête identitaire le temps d’un retour intimiste à ses racines italiennes. Ainsi a-t-on vu Shurik’n se dévoiler pour un album solo où il laisse éclater une sensibilité grave, à peine perceptible lorsque noyée dans la masse d’IAM. Enfin, Kheops a pu mettre au point sa superproduction de western spaghetti où il réunit des acteurs du rap marseillais et parisien sur un même plateau, au grand mépris des conventions qui voudraient bien voir naître des rivalités régionales au sein du hip-hop hexagonal. Et les prochains épisodes de la série sont en cours de tournage. La famille met la touche finale aux albums de Freeman, Faf La Rage et de 3ème oeil. Akhenaton prépare le successeur de Métèque et mat tandis que tous pensent déjà au prochain IAM, dont la sortie est provisoirement fixée au 1er janvier 2000.
Né Pascal Pérez à Alger d’un père andalou et d’une mère catalane, Imhotep rejoint la planète Mars par le hasard des rencontres. « J’ai un parcours musical éclectique, j’ai fait un peu de tout reggae roots et ragga digital dans les années 80. Par un concours de circonstances, les membres de Massilia Sound System m’ont présenté les B Boys Ten (Shurik’n, Kheops et Akhenaton). Ils ont écouté mes instrumentaux, on a commencé à faire des morceaux pour finalement sortir, en 1990, Concept la première cassette autoproduite de rap marseillais. » Toute la genèse d’IAM y figure, avec quelques morceaux que l’on trouvera plus tard gravés sur vinyle comme Non soumis à l’Etat, Red, black & green et Tam-tam de l’Afrique. Mais pour éviter le carcan qui étouffe les groupes repliés sur eux-mêmes, IAM choisit la liberté individuelle comme garantie de survie. « A travers les expériences solo, chacun peut développer son propre paysage, cultiver son jardin secret pour ensuite revenir enrichir le patrimoine du groupe », souligne Imhotep.
Homme de l’ombre habitué à tutoyer consoles et clavier, Imhotep surprend pourtant le fan à la recherche d’une suite logique aux aventures solitaires des Marseillais. Son premier album solo Blue print déroule une heure de musique instrumentale aux influences floues (reggae, dub, hip-hop, trip-hop…), dont le fil conducteur mène droit sur le continent face à Marseille. Si l’album offre de nombreux sommets, on préférera évoquer l’idée de dunes tant il s’écoule paisiblement une heure durant. Dans ces moments, Imhotep évoque le mirage d’un DJ Shadow du Sahara (Something wrong), un Craig Armstrong en pleine méharée (Useless sacrifice), un rasta arrivé au bout de ses réserves d’eau (Last drop of the source), signant la musique d’un périple inédit Bristol/Marrakech à l’aide de quelques touches de piano (Something right). Qu’on ne s’aventure pourtant pas à assimiler Imhotep à la vague instrumentale qui secoue à la fois la musique française et le hip-hop : le Marseillais n’a jamais entendu parler de Kid Loco et seuls deux morceaux de DJ Cam sont parvenus jusqu’à ses oreilles. « J’ai laissé tomber des pans entiers de la production musicale de ces dix dernières années. Je me suis toujours intéressé à certains types de musique : la musique ethnique qui, contrairement à la mode world, peut être rituelle ou descriptive et qui possède un sens culturel et social dans le lieu où elle est jouée ; je m’intéresse aux musiques de film, aux musiques d’Afrique du Nord, méditerranéennes. Je pourrais parler pendant des heures de musique arabo-andalouse ou de dub. Et je connais mieux la musique électro-acoustique française des années 60 que la production instrumentale des années 90. » On comprend ainsi mieux pourquoi on n’entend pas un seul mot sur le disque du membre d’un groupe aussi bavard. « Sur l’album, je voulais un autocollant « Ceci n’est pas un album de rap français ». Je ne voudrais pas que des jeunes achètent mon disque en le prenant pour un nouvel album de rap. » La déconvenue du fan ne pourrait être que temporaire : en se penchant sur l’ensemble des productions maison, il se rendra compte des liens étroits qui unissent la famille. Avec, en première ligne, les influences orientales. Mais pour Imhotep, qui a choisi de s’exiler un mois au Maroc pour le mixage de son album, Blue print n’a rien à voir avec un quelconque projet de world-music né d’un douteux tourisme musical. « J’ai voulu m’extraire de Marseille, mon cadre de vie et de travail, pour obtenir le calme et l’inspiration. Une fois sur place, j’ai eu l’idée d’utiliser les éléments d’ambiance et l’atmosphère sonore pour donner une fluidité et une unité de lieu au projet. Mixer un album au Maroc, c’est joindre l’utile à l’agréable. Et puis, disposer d’un cadre restreint au niveau du matériel permet d’aller à l’essentiel, ce qui est particulièrement vrai pour l’échantillonnage de sons. Je voulais aussi m’extraire de certaines habitudes dans la musique. Quand on travaille sur des morceaux de hip-hop, on travaille selon certaines règles et certains critères de sons dont j’ai voulu sortir. Je préfère ouvrir des portes plutôt que m’enfermer dans une image. Il existe assez de frontières dans la vie sociale, culturelle et économique sans qu’on ait besoin d’en rajouter dans la musique. »
C’est à Essaouira, port de l’Atlantique à une heure de route de Marrakech, qu’Imhotep a emmené son studio mobile pour un mois de mixage. Essaouira, sorte de San Francisco berbère, où Jimi Hendrix a déjà posé ses valises et qui, depuis, attire de nombreux musiciens. « J’ai loué la maison dans laquelle les Rita Mitsouko ont enregistré Système D. Mais c’est plus l’atmosphère de la ville que le mythe qui m’a attiré. C’est un port avec des remparts qui donnent directement sur la mer, une ville avec une âme. Je me serais installé à Alger s’il n’y avait eu les derniers événements. » C’est ainsi que le Maroc a commencé par s’immiscer à l’intérieur des morceaux de l’album pour finalement cimenter l’ensemble de l’oeuvre. Les titres se fondent de l’un à l’autre au milieu du chant des mouettes, des cloches de la médina et du bruit de l’océan. Entre les deux, Imhotep façonne à sa guise les sons collectionnés depuis plusieurs années sur ses DAT (« Le dimanche matin à Marseille, je vais aux puces acheter des vieux vinyles. Puis je mets les sons sur DAT, j’échantillonne… »), n’ajoutant çà et là que quelques grondements de basse. Pourtant, comme son nom l’indique, cette proposition de musique déjà si aboutie ne semble qu’une ébauche aux yeux de son concepteur. « Blue print correspond à un plan d’architecte que d’autres pourront utiliser pour leurs constructions. Un plan, c’est déjà une oeuvre en soi. Il peut être développé, chacun peut bâtir sa petite maison dessus. » Il en va de même pour le disque, matériau brut que le musicien laisse à d’autres le soin de modeler. Dans la maison IAM, pas de marque déposée ou de bataille d’avocats : « Certains instrumentaux pourront être développés avec des participations vocales de membres de IAM mais seront aussi ouverts à d’autres. Blue print était un plan, avec lequel on va maintenant essayer de construire quelque chose. » Imhotep envisage d’ailleurs d’exploiter lui-même son plan pour une nouvelle version de l’album, avec des invités.
Comme pour tout dessin d’architecte, Blue print ne contient finalement que l’essentiel, soit beaucoup de lignes droites et épurées la musique d’Imhotep ayant traversé l’Atlantique avant la Méditerranée. « Dans l’épuration du son, le dub représente les prémices du hip-hop qui lui doit beaucoup au niveau du mixage : dans le fait d’enlever des pistes, de ne laisser que le rythme et la basse, de jouer avec les échos, les boucles. » Jamaïque, Algérie, Maroc… Imhotep invente l’easy-listening de bord de mer, l’ambient des sables chauds, le trip-hop de la palmeraie. Au vu des difficultés engendrées par un déplacement de matériel au Maroc, il aurait pu se contenter d’un séjour en Espagne, sur la terre de ses parents. Mais ce serait sans compter sur son habitude à rompre avec les lois de l’attraction. « L’Espagne n’est qu’un avant-goût de l’Afrique. Et moi, je me sens le contraire de la boussole : toujours attiré par le Sud. »
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