Pour ses 21 ans, réédition magnifique de cet album fondamental des Anglais : le premier chef-d’œuvre postmoderne ?
Quand sort Blue Lines en 1991, le nom du groupe, sur la pochette, n’est pas Massive Attack – le mot est banni des ondes en cette première guerre du Golfe – mais Massive tout court. “Attack” manque cruellement, tant cet album est un assaut frontal contre un tabou de la musique : sa certitude que des nouveaux mouvements viendront la régénérer, comme c’est le cas depuis les débuts de la musique du diable, régulièrement réveillée par des remous d’ampleur, du rockabilly à la house, de l’electro au punk, du psychédélisme au hip-hop…
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Massive Attack, vauriens de Bristol, sont les premiers à officialiser la mort de ces illusions collectives, à admettre que la musique ne sera plus jamais à ce point centrale dans la youth culture, que l’on assistera à des vaguelettes plus qu’à des tsunamis. Le constat n’est ni triste ni amer. Il dégage même totalement l’horizon : ça sera la ligne bleue que promet le titre de cet album fondamental.
Premier grand disque postmoderne de cette amplitude, Blue Lines entérine donc la certitude que la vraie nouveauté consiste à agencer le passé, à se dépatouiller avec ses enseignements, à les désacraliser avec irrévérence. Né de la culture des soundsystems, Massive Attack ne s’est pas contenté pendant des années de mixer les disques, mais en a fait de même avec les ego disproportionnés de ses membres et surtout, leurs cultures d’apparences contradictoires.
Quand sort Blue Lines, 3D, Mushroom et Daddy G, les trois piliers du vaste collectif, sont même parvenus à un miraculeux Yalta. Leur musique, sans cesse étirée dans un sens ou dans l’autre, résiste aux déchirures, prend les formes les plus insensées : elle s’est informée, gavée même, à des sources aussi variables que le punk-rock, le hip-hop, la soul, la new-wave ou le reggae et pourtant, elle ne parle que d’une voix, dans une langue archi-vivante, sensuelle, fluide.
Elle est à la fois anxieuse et hédoniste, dansante et méditative, charnelle et glaciale : après des années de summer of love et de débauche dancefloor, c’est la gueule de bois qui frappe l’Angleterre. Le trip-hop s’engouffrera dans ce labyrinthe, sans jamais rattraper Massive Attack.
Vingt et un ans plus tard, on fête cet album pivot, qui fit basculer une génération entière vers un outre-son, par une très luxueuse réédition. Son impact est toujours aussi saisissant : il fallait être devin ou inconscient pour ainsi construire le futur sur un constat de mort.
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