Le duo anglo-américain le plus
sexy de la planète rock sort son
quatrième album. Plus orchestré
et toujours aussi physique,
Blood Pressures est un bon coup. Rencontre, critique et écoute.
Les retrouvailles ont lieu à Londres il y a dix ans. Après des mois passés à lui envoyer de la musique par la poste, l’Américaine Alison Mosshart traverse l’Atlantique pour rejoindre l’Anglais Jamie Hince, son nouveau partenaire musical. La paire s’est rencontrée un peu plus tôt, en 1999, dans un hôtel : le groupe de Jamie (Scarfo) répétait au-dessus de la chambre occupée par Alison, alors chanteuse au sein du groupe Discount. Scarfo et Discount séparés, Jamie et Alison entament une collaboration musicale virtuelle par-dessus l’océan. Chacun envoie à l’autre des esquisses de morceaux, des mélodies.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Au bout de quelques mois, l’entreprise devient fastidieuse et la Floridienne vient s’installer à Londres. Elle prend le pseudonyme de VV, Jamie celui d’Hotel. Les Kills sont nés. Nous sommes en 2002 et le groupe n’a pas encore publié d’album ni signé de contrat avec une maison de disques. “On avait ces quelques morceaux qui étaient pas mal, on a décidé de les graver sur CD. On était intéressés par deux labels seulement, Domino et Rough Trade. On en voulait une copie chacun aussi, donc on a gravé cinq exemplaires en tout, c’était plus sûr. Le type qui a gravé nos disques tenait un magasin. Il a passé nos morceaux pendant une semaine. Ça a suffi : on a reçu des appels de tous les labels possibles et imaginables.” Le groupe improvise alors trois concerts dans la capitale anglaise. Quelques mois plus tôt, les White Stripes ont donné le ton : la mode sera au duo mixte et au rock’n’roll sauvage, à l’ancienne. Avec leur rock brut, tendu et sexy, les Kills présentent le profil idéal pour s’offrir une place sur le podium : toute l’industrie du disque est dans la salle, un contrat dans la poche.
“Mais on avait prévu de partir tourner pendant trois mois aux Etats-Unis… On nous a dit que c’était du suicide, que personne ne nous attendrait à notre retour. Et là, on sort notre quatrième album !” On rencontre les Kills quelques semaines avant la sortie de Blood Pressures, dans Dalston, quartier de l’Est où réside Alison Mosshart. Dans un grand appartement lumineux, l’Américaine s’est installée au milieu d’instruments de musique vintage. Des photos de Lou Reed, Nick Cave et Mick Jagger égaient les murs. Les fringues s’entassent par dizaines : des vestes en fourrure léopard côtoient des armées de santiags, des vieux T-shirts s’empilent aux côtés de sacs Burberry.
Le refuge londonien d’Alison Mosshart est celui d’une musicienne qui a passé les dix dernières années sur la route, enchaînant tournées avec The Kills et concerts avec The Dead Weather, groupe qu’elle partage avec Jack White, l’ancien White Stripes. Après la visite de l’appartement, on s’installe au pub du coin, The Duke of Wellington. Le duke, le vrai, c’est Jamie Hince : guitariste des Kills, favori des tabloïds anglais (il a succédé à Pete Doherty dans le rôle de monsieur Kate Moss), Hince est aussi brutal et possédé à la scène qu’amical et chaleureux à la ville. “Dès qu’on a formé les Kills, on a su où on voulait aller. On ne voulait pas être de ces groupes qui disparaissent avec le deuxième album. On est fans de Sonic Youth et de Fugazi, des groupes qui publient des albums comme des instantanés, des photos d’un moment, et qui n’ont pas peur de disparaître pendant cinq ans après. Un label indépendant, c’était la garantie de garder le contrôle absolu sur notre image et notre musique, de continuer à pouvoir tout faire nous-mêmes.”
L’esprit do it yourself caractérise les Kills depuis toujours. “Aujourd’hui, tout le monde travaille ainsi. Les gens enregistrent avec GarageBand (un logiciel de création musicale – ndlr) sur leur ordinateur puis mettent les morceaux sur le net. Ce n’était pas le cas en 2002. A l’époque, le do it yourself, c’était un effort, une démarche, un parti pris.” Lorsqu’ils boudent les labels anglais au début des années 2000, VV et Hotel partent à la conquête de l’Amérique en tête à tête, dans une vieille voiture d’occasion achetée au papa d’Alison, qui tient un commerce d’automobiles en Floride. “On la lui a revendue à la fin de la tournée, se souvient la chanteuse. J’ai fait toute mon éducation musicale grâce à ces voitures. Les gens oubliaient des cassettes dans l’autoradio, c’est ainsi que j’ai découvert la musique.”
De retour en Europe, le groupe signe un contrat chez Domino comme il l’avait souhaité. Avec Franz Ferdinand et Arctic Monkeys, les Kills participeront à l’essor commercial du label dans les années 2000. Keep on Your Mean Side, le premier album, paraît en 2003. Enregistré aux studios Toe Rag, là même où les White Stripes ont façonné leur platiné Elephant, le disque condense les influences des Kills : le blues des années 30 y flirte avec le Velvet Underground, Royal Trux y côtoie Canned Heat ou Captain Beefheart.
Première pierre, brûlante, d’un triptyque résolument rock’n’roll (les albums No Wow et Midnight Boom suivront deux et cinq ans plus tard), Keep on Your Mean Side assoit les Kills à la table des White Stripes, Patti Smith, Sonic Youth et PJ Harvey. Convaincant sur album, le duo devient époustouflant sur scène : il livre des prestations sauvages et physiques, brutales et sexuelles. Ses concerts sont à équidistance de la lo-fi américaine et de l’afrobeat : des moments de transe. “On se blesse souvent sur scène. Chevilles tordues, nez cassé… On ne ressent la douleur qu’une fois le set terminé. On découvre les bleus dans les coulisses.”
Nouveau chapitre de la saga Kills, Blood Pressures continue d’afficher une sensualité débordante. Disque Cocotte-Minute, il retient une véritable tension sexuelle. “Ça parle beaucoup de ça, concède Jamie. Le titre du disque (“Pressions artérielles”) fait référence au sexe. Il y a toujours eu un côté obsessionnel, animal, physique chez les Kills. Le groupe nous permet d’extérioriser ça. Dans la vie, nous sommes deux personnes timides et réservées.” Enregistré aux studios Key Club (Michigan), Blood Pressures a permis à Jamie Hince de développer son intérêt pour des instruments rarement aperçus du côté des Kills, comme ce clavier mellotron sur Nail in My Coffin. De déployer aussi des choeurs sombres et psychédéliques (Satellite, Pots and Pans).
Une jolie comptine de Hince (Wild Charms), comme échappée d’un carton de demos de John Lennon, vient répondre à une ballade signée Mosshart (The Last Goodbye). Plus que jamais, la chanteuse semble à l’aise, décomplexée sans doute par l’expérience acquise avec The Dead Weather. “Il a fallu que je tienne tête à trois gars, j’ai appris à m’assumer, à dire ce que je pensais.” Elle en profite pour livrer son texte le plus personnel à ce jour : “Comment puis-je me fier à mon coeur, si je peux moi-même le briser avec mes deux mains ?”
“Les textes viennent facilement à Alison, j’ai plus de mal, avoue Jamie. Ça fait notre force : on a toujours su trouver le bon équilibre, partager les tâches. Il n’y a jamais eu de place pour l’ego au sein des Kills. Pas de vote ou de démocratie possibles non plus puisque nous sommes deux. Dans l’art et la musique, je crois qu’il faut être tyrannique. Je suis la moitié d’un dictateur et Alison en est l’autre. Il se trouve que, par hasard, nous comblons nos lacunes… Et on a la même taille de jeans.” Les Kills portent d’ailleurs si bien le denim que le groupe, dès ses débuts, s’est ouvert les portes de la mode.
Ça ne fera pas rêver tout le monde, mais Etam ou Zadig & Voltaire ont trouvé chez eux les représentants parfaits d’un certain retour du rock’n’roll. Jamie : “Nous accordons de l’importance à l’image, à la mode. J’ai grandi dans des coins isolés. Je ne pouvais pas prendre le train pour aller voir un concert. Alors je passais des heures chez le disquaire à regarder les pochettes des groupes, leurs fringues, parfois sans même entendre leur musique. J’ai acheté des albums sur la foi d’une seule photo. L’attitude, c’est tout sauf superficiel. Dans la mode, comme dans la musique, il ne faut pas être terre à terre, ce n’est pas l’endroit pour ça.” Ça tombe bien, Blood Pressures est pareil aux Kills : pas du tout terre à terre, brillamment flamme à flamme.
{"type":"Banniere-Basse"}