On peut très bien veiller sur la destinée d’un label parmi les plus riches et excitants du moment et n’être pour autant qu’un lord, très Old England. Ivo Russel-Watts est-il en effet autre chose qu’un gardien de la retenue victorienne, doublé d’un des meilleurs renifleurs rock de l’époque ? C’est lui qui découvre des Cocteau […]
On peut très bien veiller sur la destinée d’un label parmi les plus riches et excitants du moment et n’être pour autant qu’un lord, très Old England.
Ivo Russel-Watts est-il en effet autre chose qu’un gardien de la retenue victorienne, doublé d’un des meilleurs renifleurs rock de l’époque ? C’est lui qui découvre des Cocteau Twins, des Pixies ou des Lush, lui qui s’attache les pattes caractéristiques de Vaughan Oliver pour le design ou de John Fryer pour l’enrobage sonore. C’est lui qui maintient une distance digne de l’étiquette royale entre l’auditeur et le disque, lui qui tire les ficelles dans l’ombre. C’est lui, enfin, qui conçoit This Mortail Coil, faux groupe mais vrai concept, le produit de sa discothèque idéale et de ses interprètes favori(te)s : un projet entièrement dévolu à la gloire de la voix féminine, donc ? dans son esprit ? à son inaccessibilité. Qui pourrait décemment prétendre qu’un seul de ces organes alanguis chante pour lui ? Qu’ils soient réussis ou ratés, aucun de ces morceaux n’aura la moindre suavité, la moindre sexualité directe. Il faut les prendre comme la marque sensuelle glacée d’une héroïne nervalienne, comme la voix lointaine d’une blanche Ophélie ou celle d’une sirène invisible qui exciterait l’âme et non les sens.
Dans la revue détaillée de ce bottin mondain, on note : Alison Limerick, Deirdre et Louise Rutkowki, Kim Deal, Caroline Crawley, Heidi Berry (interprètes diaphanes), David Crosby, Mary Margaret O Hara, David Mazzy Star Roback, Colin Big Star Bell, Peter The Appartments’ Walsch, Syd Barrett (compositeurs). Plus quelques musiciens sous la houlette d’Ivo et de John Fryer dont Malcolm McGarrick, arrangeur en chef de l’omniprésent quatuor à cordes. Si une petite moitié de cet album tombe à plat, le reste sait envoûter sans jamais jouer sur l’acquis du cadavre fumant de belles chansons originales (Late night de Syd Barrett susurré par Caroline Crawley, Carolyn’s song de David Roback murmuré religieusement, til I gain control again livré bouche cousue par Heidi Berry ou You and your sister, à peine appuyé).
C’est d’ailleurs toujours le même cas de figure : la voix et trois plumes instrumentales, on frémit ; un plein ramage bigarré, et on s’ennuie. On recherchera donc naturellement les plages dépouillées, celle où l’émotion artistique passera en direct. Blood, nous dit Ivo. D’accord, mais pas le sang chaud d’un
rock nourri de Sud ; plutôt celui, glacé, de belles Anglaises victoriennes figées sur des photos jaunies.