Soit une légende récalcitrante, un sujet de culte fuyant ses porteurs d’encensoir comme la peste, la presse et le fisc réunis depuis trente ans, on a à peu près autant de chances de rencontrer Fred Neil que le Big Foot, hôte élusif des solitudes nord-américaines. Sur la scintillante pochette de Bleecker & MacDougal(1965), New […]
Soit une légende récalcitrante, un sujet de culte fuyant ses porteurs d’encensoir comme la peste, la presse et le fisc réunis depuis trente ans, on a à peu près autant de chances de rencontrer Fred Neil que le Big Foot, hôte élusif des solitudes nord-américaines. Sur la scintillante pochette de Bleecker & MacDougal(1965), New York a sorti ses plus séduisants atours. En vain. Au coeur du coeur de Greenwich Village, à deux tablatures des estaminets folk en vogue (le Night Owl, le Bitter End ou le Café Wha ), un chanteur armé d’une guitare monumentale tourne le dos à l’Empire State Building illuminé tout au long de son premier album, Fred Neil ne rêve que de fausser compagnie au ciel de plomb crasseux et à la bise en lame de rasoir du Manhattan hivernal. Il en ira exactement de même sur ses trois disques suivants (Fred Neil, printemps 67, Sessions, automne 67, et The Other Side of this life, best-of live et acoustique). Petit florilège de ses déclarations de désamour à la Mecque des songwriters : « Cette vie à deux balles finira par avoir ma peau » (The Other Side of this life), « La vie dans une grande ville, ça vous déglingue un mec » (Ba-de-da), sans oublier le célèbre « Je pars pour l’endroit où le soleil continue de briller/A travers la pluie battante », repris en 1969 par tous les transistors de la planète quand la version Nilsson d’Everybody’s talkin’ accompagna la fin de Midnight cowboy.
La Floride, dont la nostalgie ensoleille tous les disques de Fred Neil. On doit au foisonnant livret de The Many Sides de Fred Neil (double CD regroupant l’intégralité des trois albums Capitol, agrémentés d’une pincée d’inédits particulièrement bienvenus) d’avoir un embryon d’idée de ce que fut la jeunesse de Neil. Né au pays des orangeraies et des alligators, il écume le Sud durant les années 50 en compagnie d’un père chargé d’alimenter en 45t les juke-box éparpillés au royaume du blues. Ses premières chansons accrochent l’oreille de Buddy Holly et Roy Orbison. Début 61, une photo (figurant sur la pochette de l’indispensable It’s so hard to tell who’s going to love you the best de Karen Dalton) montre Neil hilare, brandissant sa guitare à côté de Karen et d’un Bob Dylan famélique soufflant comme un dératé dans son harmonica.
A cette époque, Neil fait figure de parrain taille XXL pour tous les rémouleurs de mélodies fraîchement débarqués en ville. Voix monumentale, profonde à engloutir les spéléologues par cordées entières et suffisamment mystérieuse et mordorée pour moissonner d’une même syllabe coeurs tendres et caboches cogiteuses. Dans la gorge de Neil se niche un prodigieux petit théâtre, un foisonnement d’idées de mise en scène destinées à dépoussiérer le vieux blues. En compagnie de futures stars (Dylan d’abord, puis John Sebastian ou David Crosby) ou d’inconnus (Vince Martin, son partenaire sur Tear down the wall), Neil fait grimper en flèche la température des clubs folk. Rustique et râblé, Bleecker & MacDougal pétille de faconde fataliste et badine, mais révèle surtout un songwriter surdoué ; The Other Side of this life et Little bit of rain annoncent les fastes de Fred Neil, l’album décisif. Fred Neil, ou un rêve de velours profond, d’arrangements aux sombres somptuosités habillant des chansons d’une envergure ébahissante : The Dolphins, sublime exemple de lyrisme écolo-pacifiste inspiré (brillamment repris par Tim Buckley), ou l’increvable Everybody’s talkin’. Quelques mois plus tard, sur Sessions, les chansons de Fred Neil ont sérieusement bogarté le joint, puis largué les amarres pour embarquer le jazz dans d’insolites dérives sur le grand fleuve psychédélique. Traité à égalité avec les autres instruments, le chant se libère des textes pour s’égarer dans de langoureux méandres ; les mélodies ivres s’étirent, en proie à de superbes hallucinations hypnagogiques on touche là au firmament de l’acid-folk. Sur l’éloquente pochette de The Other side of this life, paisible disque de fin de contrat, Neil est photographié à la barre d’un dériveur ; intérieurement, il a déjà pris le large (et la défense des dauphins : ses dernières apparitions publiques se feront au profit de la faune marine en danger). Depuis, le silence.
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