Devenu en un rien de temps l’une des formations de rock anglais les plus curieuses et encensées de ces derniers mois, BC,NR revient avec “Ants From Up There”. Retour avec le groupe sur ce deuxième long intense, qui sonne déjà comme le témoignage d’une période révolue suite au départ soudain du chanteur et guitariste Isaac Wood.
C’était un soir de janvier 2020, dans les arrières-salles du Vera, ce petit club indé de Groningen, en Hollande, réquisitionné dans le cadre du Festival Eurosonic pour accueillir de nouveaux groupes venus d’Angleterre. Au détour d’un couloir, une bande de jeunes – trois filles, quatre garçons âgé·es d’à peine 20 ans –, descendait des cannettes de bières pour tromper l’ennui avant de monter sur scène. L’occasion ne pouvait alors pas mieux se présenter pour entamer la discussion et tenter d’en apprendre davantage sur ce septuor nommé Black Country, New Road, auteur jusque-là de deux morceaux aussi mystérieux que leur nom à rallonge le laissait supposer.
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Presque deux ans plus tard, alors que BC,NR a depuis été propulsé comme l’un des derniers groupes à suivre d’outre-Manche en sortant un premier album tout autant remarquable que remarqué (For the First Time, 2021), c’était dans une petite pièce cossue d’un hôtel de la capitale que l’on retrouvait de nouveau la formation anglaise. Au lendemain d’une date parisienne mémorable donnée le 25 octobre 2021 au Trabendo, Lewis Evans (saxophone), Tyler Hyde (basse), Charlie Wayne (batterie), May Kershaw (claviers), Luke Mark (guitare), Georgia Ellery (violon) et Isaac Wood (guitare, chant) s’étaient presque tous réunis pour évoquer ensemble l’arrivée soudaine de leur brillant deuxième album, Ants From Up There.
Mais fallait-il y voir un signe prémonitoire lorsque Isaac Wood a préféré s’installer légèrement en retrait, emmitouflé dans un imposant loden sombre, restant quasiment silencieux tout au long de la conversation ? Pour cause, le chanteur et guitariste vient d’annoncer par surprise son départ du groupe dans un communiqué publié lundi 31 janvier dernier, quatre jours avant la sortie du disque. Si l’ensemble des tournées anglaises et américaines à venir ont été annulées, le reste de la formation a assuré continuer à travailler ensemble. Nul doute que l’écoute de ce nouvel album sera d’autant plus intense.
Vous n’avez quasiment pas tourné depuis notre première rencontre début 2019, pandémie oblige. Ça vous fait quoi de remonter sur scène après tous ces mois d’isolement et de contraintes sanitaires ?
Charlie : Un bien fou !
Lewis : Ça paraît presque incroyable. Et l’ambiance est vraiment bonne, c’est génial.
Tyler : À l’origine, cette tournée était prévue pour assurer la promotion de notre premier album mais tout a été repoussé maintes et maintes fois. C’est comme si nous étions déjà passés à autre chose, tous focus sur l’arrivée du deuxième. Le début de cette tournée a été super jusqu’ici, le public est adorable et respectueux, mais il faut avouer que le concert d’hier soir était beaucoup plus déluré que nos dates précédentes.
Black Country, New Road est indubitablement lié à la scène, à la performance. La musique du groupe s’en nourrit autant qu’elle s’en fait le reflet. Malgré l’impossibilité de tourner pendant presque deux ans, cette dimension live semble avoir été plutôt bien préservée à l’écoute du nouvel album.
Lewis : Peut-être un peu moins, parce que les nouveaux morceaux n’ont pas été écrits dans ces conditions. Mais en termes de rendu, de performance, le nouveau disque est plus orienté live, contrairement au précédent. Nous avons joué et enregistré chaque morceau tous ensemble dans une seule et même pièce, en quelques prises. Il y a eu peu d’ajouts post-enregistrement, peut-être deux ou trois overdubs par piste grand maximum. C’est pour cette raison que Ants From Up There dégage une atmosphère sonore particulière. Il possède un son très spécifique, presque confiné, comme si tu pouvais entendre la pièce dans laquelle nous l’avons enregistré.
Certains d’entre vous ont suivi des formations classiques et même joué dans des orchestres klezmer, et d’une certaine manière, vous êtes tous animés par la simple envie de vous réunir pour jouer ensemble. Quel impact ont pu avoir ces deux années confinées sur l’évolution du groupe ?
Lewis : On avait déjà commencé à écrire quelques morceaux avant l’arrivée de la pandémie. Et puis, nous ne sommes pas vraiment du genre à improviser ensemble dans une pièce pour écrire et composer. Les nouvelles chansons sont donc nées de la même manière que celles du premier album. On commence toujours par trouver quelque chose à la guitare, puis chacun apporte ses parties respectives. Mais Ants From Up There a été conçu dans la détente. On a passé beaucoup de moments à ne rien faire, à prendre du bon temps.
May : On était confinés en Angleterre, forcés à rester enfermés à la maison.
Tyler : La composition des morceaux a donc été plus réfléchie parce qu’on ne pouvait pas avoir cette dimension live en tête. On se posait plus de questions. Tout était moins spontané qu’auparavant.
Lewis : Mais dès que les morceaux ont été plus ou moins finis, on a eu la chance de faire une petite tournée au Royaume-Uni l’été dernier, ce qui nous a permis de tester les nouveaux titres en conditions réelles. Les roder en concert vaut plus que de se faire dix répètes dans une pièce. C’était donc très utile et nous étions fin prêts à enregistrer le tout en studio sans avoir besoin de retravailler tout ça en arrivant sur place.
Il y a également cette nouvelle chanson, Haldern, qui tire son nom de la ville allemande où vous vous êtes produits en juin 2020, et qui a été façonnée sur place dans l’instant.
Tyler : Haldern est une exception, même si ça peut arriver qu’on garde des idées qui nous viennent lorsque nous faisons les balances, par exemple. En général, les improvisations sont vite emmerdantes mais parfois quelque chose se produit.
Charlie : Ce morceau est venu naturellement. On était tous ravis d’être là, d’enfin pouvoir sortir, se retrouver, jouer ensemble et passer un merveilleux week-end. J’imagine que le titre reflète ce chouette moment.
Après la sortie du premier album, n’avez-vous pas eu le sentiment d’avoir été rapidement enfermés dans une case qui ne correspondait pas vraiment à l’idée que vous vous faisiez du groupe ?
Charlie : For the First Time reste une bonne représentation de ce que nous étions, de ce qui nous intéressait à l’époque et de ce que nous pensions être fun à jouer sur scène…
Tyler : Ça me paraît normal que les gens veulent entendre le premier disque, mais nous sommes déjà passés à autre chose. Je pense que le public nous pardonne assez facilement de ne pas jouer tel ou tel morceau car il comprend que nous ne voulons pas être dans la contrainte, mais simplement être heureux de jouer sur scène ce que nous voulons, sans nous forcer.
Peut-on dire que ce nouveau disque se pose en réaction au premier, à sa réception et à toute cette sorte de hype qui vous a vite entourés ?
Lewis : Pour être franc, c’était nécessaire pour nous de sortir ce deuxième album assez vite. Il nous fallait d’autres morceaux à jouer sur scène et nous devions faire une sorte de break avec ceux du premier pour que l’on puisse les apprécier à l’avenir.
Charlie : Aux origines du groupe, nous avions assemblé plusieurs chansons pour être sûrs de pouvoir assumer un set complet sur scène. Elles ont été plus ou moins coupées et modifiées par la suite, pour finalement se retrouver à former un premier album. Ants For Up There, lui, est différent. On voulait se détendre et composer sérieusement ensemble sans avoir à prendre en considération les attentes du public. On ne pensait pas à ça.
Luke : Et honnêtement, je pense que cet album est la représentation la plus sincère de ce que nous sommes réellement.
Cette évolution, qui s’entend sur le disque, est donc le résultat d’un cheminement naturel ?
Charlie : On ne voulait pas faire deux fois la même chose mais plutôt créer quelque chose qui soit musicalement cohérent et complet, à la différence du premier. For the First Time est une collection de morceaux qui fonctionnent bien mais il n’y a pas de ligne directrice. Il fallait trouver quelque chose de consistant, différent et fun, qui soit également un challenge pour nous.
Tyler : Notre idée première était d’écrire des bangers pop, des titres ne dépassant pas les trois minutes trente et nous avons clairement échoué (rires).
On retrouve également dans les paroles des formules particulières qui résonnent au fil du disque, toujours dans cette forme de cohérence que vous espériez.
Isaac : J’ai écrit tous les textes au même moment, dans une sorte de capsule temporelle. C’est pourquoi les paroles se contaminent entre-elles.
Lewis : Il n’y a pas vraiment de thème particulier. Concorde, Billie Eilish Style, etc., sont des formulations que l’on retrouve du début à la fin. Ce sont des autoréferences, tout simplement.
Tyler : Isaac est le seul à écrire les paroles. Nous autres n’avons aucune incidence dessus. La musique est déjà composée avant que les mots ne soient ajoutés, ce sont deux entités distinctes. Il n’y a aucune connexion.
Isaac : Mes textes sont, une fois de plus, des extraits de mes poèmes tristes, mélangés à de l’ironie et à des petites touches amusantes. Ce ne sont même plus des poèmes à vrai dire, ce sont juste des chansons.
On a l’impression que la musique, le son, la performance de Black Country, New Road sont l’entité prédominante que vous cherchez à préserver, à dénaturer le moins possible.
Tyler : Les visuels que nous utilisons ne donnent aucune piste sur la teneur de notre musique. Ils ne la représentent pas. On accroche sur l’esthétique, on l’utilise, voilà tout. Nous allons quand même sortir un vidéo clip pour Concorde, ce qui est une grande première chez nous.
Lewis : Nous essayons également de rester à l’écart le plus possible des réseaux sociaux.
Tyler : Malheureusement, nous devons fonctionner avec ça. Mais nous faisons le minimum, juste avec quelques photos de presse.
Lewis : On préfère utiliser de vieux dessins de notre enfance pour faire le boulot et assurer la communication.
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