Dans la musique de ces dernières années, elle est sans doute la plus forte personnalité. Mais pas la plus consensuelle. On ne peut qu’adorer ou détester Björk, « constructrice de passerelles » musicales ou « petite garce ».
Ce matin de décembre, comme à l’accoutumée, le père Noël double clique pour consulter ses messages électroniques. Une lettre plutôt atypique attire son attention. Elle émane d’une pop-star islandaise, Björk Gudmundsdóttir, qui a bien passé l’âge de croire au père Noël mais qui trouve encore nature à s’intercaler entre les commandes de sabres laser menaçants, de poupées pipelettes ou de compils de chanteuses mononeuronales.
« Ah ! l’Islande ! Avec leurs légendes je passe pour un rigolo : ils ont treize pères Noël différents qui défilent chacun à leur tour dans les villes et commettent diverses farces, volent des fruits, jouent les voyeurs. »
L’objet de cette missive est de le remercier d’avoir amené à cette Björk, il y a de cela bien longtemps, sa première flûte et ce disque enfantin mais gentiment subversif de Thorbjörn Egner. Une sorte de croisement local entre Henri Dès et Mark E. Smith, qui reste le disque de chevet de Björk et participa à son éducation musicale, niché entre les Sparks, Debussy, Louis Armstrong ou Joni Mitchell avec Schoenberg et Stockhausen comme révélateurs de la simplicité de la pop-music.
Le père Noël se rappelle ces vieilles lettres ornées de dessins, parfois agrémentées de poèmes, venues d’une gamine brillante dans ses études de musique, baby-star locale avec un album (disque de platine en Vulcanie) enregistré à 11 ans et reprenant entre autres The Fool on the hill, telle une Shéhérazade venue du froid. Antique correspondance qui témoignait déjà d’un caractère bien trempé et d’aspirations à faire de sa vie une oeuvre exceptionnelle.
En témoignage de cette gratitude, le père Noël pouvait trouver jointes deux invitations à son projet de spectacle avec le Choeur des voix de l’Europe à Reykjavík, pour le réveillon de l’an 2000, où Björk devrait faire une courte apparition, ses quatre-vingt-dix jeunes choristes reprenant des thèmes vocaux issus du folk, du classique ou d’Arvo Pärt (ce spectacle devrait être visible à Avignon dans le courant d’août prochain).
« J’aime beaucoup Björk à vrai dire, sa musique stimule mes rennes sur les longs trajets et nous offre un grand sentiment de liberté et de plénitude ; sa musique est optimiste et respire la joie de vivre (une Ella Fitzgerald givrée ?) »
Et même si la mère du père Noël, une dénommée Gryla, est considérée par les Islandais comme une sorcière, elle admire la manière avec laquelle Björk embrasse toutes les catégories musicales avec grâce et talent : la musique contemporaine (elle interpréta le Pierrot lunaire de Schoenberg), celle plus populaire de ses succès solo, la musique du xxième siècle avec l’ahurissant Homogenic, le jazz avec Gling-gló (énorme succès en Islande), le punk avec Kükl mais aussi le cinéma (Dancer in the dark, le prochain film de Lars von Trier, qui devrait faire l’ouverture du Festival de Cannes 2000, alors que la rumeur annonce déjà la prestation de Björk transcendante).
Sur son curriculum virtuel, on pourrait trouver : expérience en ponts et chaussées. Spécialité : construction de passerelles entre la musique populaire et l’avant-garde.
Car son aventure représente l’ouverture du monde musical sur lui-même : pas un hasard si le groupe qui porta ses premières chansons solo était composé des musiciens issus des Caraïbes, de Turquie, des Indes, d’Iran ou de Grande-Bretagne, à une époque où la plus grande part de la production musicale avait posé ses valises depuis bien longtemps et où les réflexes protectionnistes commençaient à s’activer (l’autre père Noël de Manchester). Pas étonnant qu’elle défende régulièrement l’idée selon laquelle la musique est parfois la seule chose capable de rassembler différentes communautés, générations, cultures.
Son attitude principale, en musique comme ailleurs, semble être l’interrogation constante, la saine curiosité, ce besoin de toujours vouloir tout comprendre et apprendre. Ainsi, elle a toujours su s’entourer des meilleurs, tout en gardant le dernier mot. « Les autres permettant de révéler ce que l’on a au fond de nous », dit-elle. Parmi ses proches, qu’elle nourrit autant qu’ils la nourrissent, on retrouve Tricky, Goldie, Howie B, Eumir Deodato, Leila Arab ou Talvin Singh, aux devenirs artistiques autonomes et souvent passionnants. Ceux-là, qui la connaissent pourtant intimement, ont toujours du mal à définir sa personnalité. « Tant de facettes », disent-ils.
Cela peut paraître évident, mais il faut le rappeler : Björk est inséparable de son Islande. Et l’île fait partie intégrante d’elle. Ainsi, le tourisme islandais lui doit beaucoup, tant l’île est devenue sous son impulsion une destination recherchée et plus simplement des géologues ou marcheurs. La nature, le folklore, les récits mystérieux sont omniprésents dans ses chansons, dans son attitude. L’océan (« C’est ma maison » chante- t-elle dans The Anchor song) et les bateaux sont ici autant de symboles de liberté (qu’elle collectionne comme d’autres les timbres). La nature surpuissante (les événements naturels incontrôlables sont à la fois source de peur, d’énergie et de respect) définit la trame de ses chansons, tout comme ces contes dans la grande tradition narrative islandaise (les sagas séculaires), que l’on retrouve intacte sur le binôme Isobel/Bachelorette.
Mais c’est surtout le dualisme entre tout cet héritage et la modernité (les inflexions électroniques, cette perception pointue des rapports humains) qui séduit chez elle. Il faut ainsi réécouter The Modern things, charmant conte enfantin qui suggère que tous les fruits de la modernité existent depuis toujours et résident, cachés, au coeur d’une montagne un habile pied de nez à ceux qui pensent que la musique électronique ne peut avoir d’âme par sa nature.
En cas d’addiction, il faut se jeter sur un nouveau morceau repéré en clôture du film Dans la peau de John Malkovich (signé Spike Jonze, qui avait signé sa renversante vidéo, sous haute influence de Demy, pour It’s oh so quiet) : un titre apaisé qui annonce peut-être un album prévu pour 2001, qu’elle qualifie elle-même de très calme, planant, plus intimiste que jamais (elle affirme qu’il faudra un microscope pour l’écouter). Et puis, si l’attente vous ronge, essayez les remixes et découvrez Beck demander la nationalité islandaise sur Alarm call. Après, nous attendrons d’elle « sa plus grande chanson pop », qu’elle promet d’écrire le plus tard possible, car elle entend être encore là en 2050 et continuer à chanter… Ainsi, trois générations pourront être violemment heureuses.
Björk : petite garce. Björk est une chanteuse de folk-songs islandaises adulée du public Fun Radio. Björk !, Björk : je ressassai ce nom. La petite nymphe, oui-oui. La petite fripouille : ah ! oui-oui, ça oui ! Et que nul ne supportait en sa natale contrée du temps où la gloire n’était encore que lointaine. A croire que j’ai du sang de la préhistoire islandaise. Mais rien qui m’enlèvera la belle idée : la petite sotte qui crève les yeux, qu’elle gesticule : « Lolita !…, Lolita, qu’j’suis ! », avec l’infecticide accent, mignarde, mièvre et écoeurante sucrerie, qui m’empuantit les oreilles, rien qu’y penser : du soufre, vous savez, l’odeur d’un oeuf pourri. J’en suis sûr : je vins, my fault, à l’un de ses concerts, fulgurante rature qui marqua l’acmé de ma déception, féerie déprogrammée-n’a jamais lieu-n’y allez pas. Et puis, la trouille bleue, que j’ai la violence qu’elle, pauvre hystérique, fit subir, dans un aéroport, vous savez bien. Eh oui ! Avec le petit nez troussé, museau !, relevé à l’aiguyance sourcilleuse des yeux menus que recèlent les mille et une impitoyables perversités de nos pires éléments femels. Et le n’oreille qui brille, qui brûle qu’on mordille à loin ; la broussaille qu’encadre le plastique angélique, ma Björk-angélure : la Belle et la Bête, produit deux-en-un, si l’on veut. Elle et son marketing bien au point : ne pas oublier de parler de Stockhausen comme Post-it, partout-partout qu’elle nous fait le coup « vous voyez, je suis une grande intellectuelle, pas que la plastique ». Pas que le plastique : oui-oui.
Björk, oh ! ma Björk ! : petite morvitude amère, et notre rêvasserie phantastique que tu as salie de sottises innombrables. Garce hypercontrolée, c’est une cérébralo-défaillante. Caste des femmes domina-castratrices, libido maîtrisée, exaspérée, incontrôlée, castratrice ; qu’elle castre : pas moi, vous dis-je, pas moi. Ah ça, quand je conclus : le petit bonhomme qui venait de se faire sauter la cervelle : « Oh ! vraiment terrible… » et qu’elle ajoute : « J’arriverai pas à dormir pour plusieurs nuits. »
Par Sébastien Paule (pour) et Jérôme Gurdyk (contre)