Avec un album sobre et mélancolique, Me’Shell Ndegeocello retrouve la grâce intouchable d’une soul oubliée. Après le Travelling Miles de Cassandra Wilson, ce sera la seconde fois de l’année qu’une femme de tête nous intimide, nous glace sévèrement les sens en nous épargnant toute séduction vulgaire. Une réponse sèche et revêche à tout ce potage […]
Avec un album sobre et mélancolique, Me’Shell Ndegeocello retrouve la grâce intouchable d’une soul oubliée.
Après le Travelling Miles de Cassandra Wilson, ce sera la seconde fois de l’année qu’une femme de tête nous intimide, nous glace sévèrement les sens en nous épargnant toute séduction vulgaire. Une réponse sèche et revêche à tout ce potage R&B qui se déverse par flots poisseux sur les charts internationaux comme une insupportable gangrène, contaminant la soul, cette pierre précieuse, de façon dangereusement irrémédiable. On a depuis longtemps fait le deuil de voir surgir une nouvelle Diana ou une Ann Peebles contemporaine, alors on fait semblant de croire en Lauryn Hill ou en l’étonnamment douée Macy Gray, mais si le coeur y est un peu, l’âme a depuis longtemps déserté les lieux. Face à cette soul demi-sel, Bitter débarque comme un remède et aussi tel un poison violent. On groovera ici autant qu’à la messe un dimanche d’octobre mais qu’importe, le propos étant moins d’affrioler les dance-floors que de napper à la manière d’une sécrétion venimeuse nos intérieurs. Depuis son prometteur Lullabies plantation en 93, la panthère féministe Me’Shell Ndegeocello n’avait pourtant pas semé que des merveilles. Entre un duo malséant avec John Mellencamp et un deuxième album cliniquement en coma dépassé, dévoré par les requins, on était en droit de proclamer unilatéralement le divorce. Bitter, entièrement décoré de tentures acoustiques et de cordes graves et lentes, nous ramène au bercail par le bout des nerfs. Deux instrumentaux intitulés Adam et Eve annoncent assez clairement la nouvelle ère qui s’ouvre devant Me’Shell, lassée de n’être qu’une féline au pas feutré et se rêvant à la porte du paradis What’s going on, au bord d’un précipice où le défi au vertige procure la plus charnelle des excitations terrestres et musicales. Elle cite Hendrix (May this be love) et laisse parfois un bavard guitariste soliloquer en rond, mais on lui pardonne beaucoup cette fois-ci. Pour le souffle qui soulève en douceur un Satisfy gorgé de fièvre passionnelle, pour les arrangements pointillistes de Bitter ou pour le presque-rien intimiste de Beautiful, dépouillé et impressionnant dans son cousinage avec la grande Gladys Knight. Pour ces quarante-cinq minutes d’apesanteur absolue sans équivalence dans la musique d’aujourd’hui. Comme Cassandra Wilson, avec qui d’ailleurs elle partage les services du producteur Graig Street, un homme de goût et de distinction, Me’Shell Ndegeocello chante comme un violoncelle, avec cette âpreté dans les cordes vocales qui interdit toute simulation et qui puise sous l’épiderme des trésors discrets et dépourvus de sensualité grossière. Pour une fois si bien entourée, lovée dans ces tempos escargots qui lui vont comme un gant de soie, elle n’en devient que plus essentielle et divine.
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