Que s’est-il passé dans la musique en 2010 ? Si certaines valeurs sûres n’ont pas perdu le Nord, la carte mondiale a continué d’être bouleversée par des continents à la dérive : de nouveaux espaces se créent, d’autres disparaissent. C’est le chaos, c’est formidable.
Dans un film d’anticipation qui passe actuellement sur les petits écrans, la terre est soumise à un bouleversement sans précédent : déplacement des pôles, dérive des continents, chambardements irrévocables entre ce qui était et ce qui sera. A sa petite échelle, et ce n’est pas fini, la musique a déjà devancé ces désordres et inversions. Ainsi, après des années de domination de New York sur le rock chercheur, fureteur, c’est L.A. qui a souvent donné le LA cette année : par dizaines, filles et garçons ébouriffés de Californie, d’Avi Buffalo à Local Natives, d’Aloe Blacc aux Broken Bells se sont invités dans notre top des albums de l’année, faisant insolemment le signe de la cote Ouest : comme un V de la victoire, mais avec trois doigts.
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“I’m going back home to the West Coast/Come On Everybody” (“Je rentre chez moi sur la côte Ouest/Venez tous) avait proposé l’acteur Jason Schwartzman avec son groupe Coconut Records. Une invitation ouverte et passionnée pour la Californie reprise en cœur par les locaux Funeral Party et leur NYC Moves To The Sound Of LA ou par un groupe carrément baptisé Best Coast, dont la chanteuse porte une carte du Golden State tatouée sur son biceps. Voici une belle façon de fêter dignement les trente ans de l’incandescent California Über Alles des Dead Kennedys !
Dans ce film d’anticipation, des zones autrefois désertiques de la planète deviennent des terres luxuriantes et fertiles : il a fallu un retournement de situation particulièrement violent pour que l’un des grands événements de la pop 2010 soit le concert, au Madison Square Garden de New York, de deux groupes français : Phœnix rejoint par Daft Punk. Le symbole éclatant de la fin de complexes, d’inhibitions et d’autocensure qui ont longtemps éloigné les groupes français d’une vie internationale : grisés par cette liberté, ivres de l’étendue des possibles, les groupes multiplient les échappées belles hors du carcan hexagonal.
De Syd Matters aux Bewitched Hands, de Cocoon à Koudlam, il ne faut plus créer, dans le top des albums de l’année, de sous catégorie “pop française” pour être certains que des groupes d’ici apparaissent dans les classements. Ils jouent désormais à armes égales, sans passe-droit, sans handicaps non plus. Les grincheux peuvent toujours se plaindre de cette mise en conformité aux modes mondiales de la pop d’ici : le français première langue demeure un patois très vivant, acide et terrassant, comme l’ont encore prouvé cette année Bertrand Belin, Katerine, Arnaud Fleurent-Didier, Florent Marchet, le nomade Gaëtan Roussel ou même Booba.
Le premier album du duo Arlt, vrai outsider de l’année dans la catégorie chanson, s’appelle La Langue, et c’est bien cette langue dont on parle, qu’on aime entendre. On disait en préambule que le rock avait perdu le Nord : en France, il a surtout perdu le Noir (Désir). On faisait semblant de croire à leur possible retour, en se demandant comment le groupe remonterait sur scène. Le départ brutal de Serge Teyssot-Gay a répondu à une autre question, autrement plus complexe : pourquoi remonter sur scène ?
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