Retour sur le point d’orgue de la rivalité East Coast/West Coast qui a abouti à l’assassinat des deux artistes principaux des deux camps : Tupac Shakur (du label Death Row Records) en 1996, puis celui de The Notorious B.I.G. (du label Bad Boy Records) en 1997. Deux anciens amis.
“J’ai toujours cru que c’était un truc de Gémeaux. On s’est tout de suite très bien entendus, et depuis lors tout est cool entre nous”. Lorsqu’il revient sur son amitié avec Tupac Shakur pour le magazine Vibe en 1995, Christopher G. Wallace, alias Notorious BIG, pose ses mots sans acrimonie. “Je pense toujours que ce nigga est mon pote. Il faut juste qu’on parle de toute cette merde, c’est ce que je me répète en boucle. Je ne peux pas croire qu’il pense que je veuille lui chier dessus comme ça”.
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Tupac est loin de partager cet avis. Quelques mois plus tôt, le rappeur millionnaire, gueule d’ange et porte-parole de la communauté afro-américaine, a été la cible de cinq coups de feu dans le hall des studios Quad à New York. À l’étage au-dessus, Biggie est alors en session d’enregistrement avec son producteur Sean “Puff Daddy” Combs. “Juste après s’être fait tirer dessus, Tupac est monté dans le studio de Biggie en criant “vous m’avez piégé!”, raconte Jamal Joseph, auteur de la biographie Tupac Shakur Legacy. Il avait reconnu les tireurs et était persuadé qu’il s’agissait d’un guet-apens”. Le lendemain de la fusillade, le verdict d’un procès pour agression sexuelle tombe : Tupac est condamné à quatre ans de prison.
Une amitié immédiate
Les deux rappeurs se sont rencontrés en 1993 pendant le tournage du deuxième film où joue Tupac, Poetic Justice. Shakur, au faîte de sa gloire depuis la sortie de son premier album 2pacalypse now, écoute en boucle le premier single de Notorious BIG, Party and Bullshit. Il invite alors Biggie chez lui. Les deux se marrent, fument, et chillent ensemble. Ils deviennent amis. Tupac se met en tête de promouvoir la carrière de Biggie, et lui propose d’assurer ses premières parties. Ce dernier signe bientôt sur Bad Boy records, le nouveau label monté par Puff Daddy. Son premier album, Ready to Die, est un classique instantané. Deux mois plus tard, Tupac se fait tirer dessus.
En prison, il reçoit des lettres accusant Biggie d’être le commanditaire de cette tentative d’assassinat. Tupac ronge son frein : non seulement on tente de le tuer, mais il purge une peine pour un crime qu’il estime ne pas avoir commis, et Biggie lui vole sa place au firmament hip-hop, écoulant plus de deux millions de son premier album. C’est là qu’intervient Suge Knight. Gangster reconverti dans le hip-hop, Knight est à la tête du label Death Row, où sévissent aussi Snoop Dogg ou encore Dr Dre. Le colosse, membre du gang angeleno Bloods, paie alors la caution de Tupac en échange de deux albums de la star sur son label.
À l’époque, l’entourage de Tupac laisse entendre qu’il accepte le deal moins par envie de rejoindre le label que pour la protection armée que peut lui assurer Suge Knight. “Le label Death Row a été fondé par l’argent de la cocaïne et du crack (…) le deal a été scellé par un proche de la mafia italienne, explique le documentariste britannique Nick Broomfield aux Inrockuptibles. Suge Knight lui-même a grandi dans le quartier de Compton, au milieu de la guerre des gangs. La mort et la violence étaient normales pour lui”. Après les meurtres de Tupac et de Biggie, on découvrira ainsi que Knight, multi-millionnaire grâce à des trafics en tout genre, avait acheté une quarantaine de policiers et de fonctionnaires de la ville de Los Angeles.
Haine exacerbée
Sous l’aile de ce nouveau mentor, Tupac exacerbe sa haine contre Biggie et Puff Daddy. “Ils se mettent à raconter les pires horreurs et essaient de détruire mon image. Souviens-toi bien de ce manque d’honneteté quand je vais me manifester mec !”, prévient-il lors d’une interview filmée en 1996 pour le magazine Vibe. “Il ne peut pas se la jouer devant moi, estime un Notorious très calme. Même s’il se fait passer pour le pire des haters, il sait que [j’ai été là pour lui]. Mais il a choisi de faire ce qu’il voulait faire. Moi je pouvais rien faire, mais ça ne veut pas dire que ce n’est plus mon pote”.
La rivalité West coast (Death Row) et East coast (Bad Boys) prend un tour alarmant lors des Source awards de 1995 quand Suge Knight insulte Puff Daddy sur scène ou lorsqu’un Snoop Dogg dément provoque le public.
http://youtu.be/ZKKs36wCFdQ
Apogée de cette confrontation, le morceau Hit’Em Up où Tupac menace de tuer un par un les membres de la clique Bad Boy. Graphique, le rappeur fait preuve d’une violence inédite et n’hésite pas à dire qu’il a couché avec la femme de Biggie, Faith Evans. “All of y’all mother fuckers, fuck you, die slow, motherfucker / My .44 make sure all y’all kids don’t grow”.
S’il ne répond pas, Biggie prend néanmoins des précautions. Le rappeur se fait arrêter en possession d’armes à feu chez lui dans le New Jersey au printemps 1996, et embauche des membres du gang angeleno Crips – ennemis jurés des Bloods – comme gardes du corps.
“Rien ne te protège de l’inévitable”
En moins d’un an, Tupac écrit les deux albums qu’il doit à Suge Knight – All Eyez On Me et The Don Killuminati : The 7 Day Theory. Le contrat Death Row est rempli, il vend des exemplaires par millions. Le rappeur envisage alors de se séparer du parrain qui lui doit plusieurs millions de dollars. Le 7 septembre 1996, Shakur est exécuté à Las Vegas à la sortie d’un match de boxe dans la voiture de Suge Knight.
Le Los Angeles Times blâme le gang des Crips en s’appuyant sur des rapports de police. Notorious BIG est-il mêlé au meurtre? Six mois plus tard, il trouve la mort dans des circonstances similaires : abattu par balles dans une voiture à Los Angeles.
http://youtu.be/Z-w9x_8ji-c
Certains y voient une vengeance des Bloods, d’autres accusent des policiers corrompus à la solde de Suge Knight. Malgré les enquêtes policières et journalistiques (l’excellent papier de Randall Sullivan pour Rolling Stone qui mouille le LAPD et le Los Angeles Times, ou le documentaire de Nick Broomfield), le mystère reste entier faute d’une investigation conduite dans les règles de l’art à l’époque des deux meurtres.
Dans une interview publiée une semaine avant sa mort, Notorious BIG faisait preuve d’une drôle de clairvoyance : “Rien ne te protège de l’inévitable. Si ça doit arriver, ça doit arriver. Tu n’y peux rien, quoi que tu fasses. Tu as beau faire le ménage dans ta vie. Il est fou de croire qu’un rappeur ne va pas se faire tuer seulement parce qu’il rappe”.
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