Il y a un quart de siècle, ce futur postulant à la présidence des États-Unis était fan de hardcore et sortait des disques avec un futur membre de At the Drive-In.
En janvier 1993, Bob Dylan et Aretha Franklin se produisent à Washington pour l’entrée en fonctions de Bill Clinton, le premier président baby-boomer. En janvier 2021, cela sera-t-il le cas de At the Drive-In ou Guided by Voices pour le premier président de la “génération X” ? C’est ce qu’espère sans doute le Texan Beto O’Rourke, entré depuis deux semaines dans la course à l’investiture démocrate, dont il fait figure de sérieux outsider. Une candidature introduite par un long portrait dans Vanity Fair, aux photos signées Annie Leibovitz le montrant dans sa salle de musique, guitare à la main, sa fille Molly aux claviers, son cadet Henry à la batterie.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
The El Paso Pussycats
Il y a quatre mois, O’Rourke, représentant au Congrès du district d’El Paso depuis 2013, échouait de moins de trois points à renverser le sénateur sortant Ted Cruz, dans un État normalement acquis à la cause des républicains. Pendant la campagne, ces derniers ont cru l’embarrasser en sortant les archives: la pochette de The El Paso Pussycats, le premier single de Foss, le groupe dont il tenait la basse au début des années 1990. Un candidat au Sénat se montrant cheveux longs, barbe de trois jours et… en robe à fleurs, comme Kurt Cobain aimait à le faire à l’époque ? L’épisode n’a fait que renforcer la curiosité pour sa campagne, et pour cet épisode de sa biographie.
Maybe Beto can’t debate Ted Cruz because he already had plans… pic.twitter.com/LdqKTh3yK4
— Texas GOP (@TexasGOP) 28 août 2018
Né en 1972, O’Rourke pourrait être le petit frère d’un Cobain ou d’un Stephen Malkmus. Adolescent, il se passionne, avec ses copains de lycée Arlo Klahr et Mike Stevens, futurs membres de Foss, pour le skate et le hardcore. Notamment le label Dischord, cofondé par Ian McKaye de Minor Threat, et une autre de ses signatures, Rites of Spring, citée sur son livret de promo. Fasciné par l’ethos indie, cette idée que les groupes partagent la même existence que leur public: our band could be your life, chantent les Minutemen, slogan qui a fourni son titre à une somme du critique Michael Azerrad récemment traduite en français.
Au Campus Queen, une salle d’El Paso, O’Rourke rencontre un jeune batteur du nom de Cedric Bixler-Zavala, futur fondateur de At the Drive-In puis The Mars Volta – il y a deux ans, quand O’Rourke était encore un quasi-inconnu, un site musical annonçait d’ailleurs qu’“un membre de l’ancien groupe de Cedric Bixler-Zavala est candidat au Sénat”. Leur formation s’appellera Foss, pour “chute d’eau” en islandais. Un pied dans le hardcore, ses rythmiques frénétiques, son chant braillé. Un autre dans le rock slacker, avec ses passages plus nonchalants pas si éloignés du Pavement de Slanted and Enchanted. Le groupe ne publie que deux cassettes et en 1993, The El Paso Pussycats sur son propre label, Western Breed, qui sortira aussi les deux premiers singles de At the Drive-In, Hell Paso et ¡Alfaro Vive, Carajo!
Une éthique DIY
Pendant leurs vacances étudiantes, les membres de Foss se lancent dans une tournée nord-américaine en break durant laquelle ils font la connaissance d’une jeune canadienne qui leur marchande un ticket de concert contre “un tee-shirt ou une cassette” avant de les rejoindre chanter sur scène : elle s’appelle Leslie Feist. O’Rourke, qui s’est plongé pour organiser le voyage dans Book Your Own Fucking Life, un annuaire des salles underground publié par le fanzine Maximum Rock’n’Roll, est le débrouillard de la bande. Un jour, il appelle les propriétaires d’une salle de San Francisco et se fait passer pour le fondateur de Sub Pop en leur conseillant de programmer Foss. Un autre, le groupe se présente faussement comme une formation de rock évangélique pour passer dans un talk-show local : O’Rourke, tee-shirt et bonnet rouge, saute sur place en agitant sa basse tandis que le groupe, qui avait annoncé un “medley gospel”, se lance dans un raffut anarchique d’une petite minute.
Après Foss, O’Rourke continue, plus ou moins sporadiquement, à jouer de la musique. À l’été 1995, il enregistre un disque avec The Swedes, un groupe installé dans une maison d’Albuquerque ornée d’un drapeau suédois au fronton. Alors qu’il amorce sa carrière politique, on le voit, en 2003, reprendre le Blitzkrieg Bop des Ramones avec The Sheeps, dont les membres se produisent la tête recouverte d’un masque de mouton. Ou, lors de sa campagne sénatoriale, se produire aux côtés de la star country Willie Nelson, quand il ne cite pas Clampdown du Clash pour critiquer son adversaire ou ne se lance pas dans un grand numéro de air-batterie filmé quand Baba O’Riley des Who sort de son autoradio.
Le Texan fait régulièrement le lien entre son approche de la musique et de la politique: “Jouer dans un groupe, pour moi, c’est écrire ses propres chansons, sortir soi-même sa musique, presser soi-même ses disques, écrire des fanzines, organiser ses tournées et créer un lien avec les gens sans le filtre d’une entreprise ou quoi que ce soit d’autre”, expliquait en 2017 au Houston Press celui qui, pendant sa campagne, a refusé tout financement des gros donateurs. Une revendication d’authenticité qui fait son attrait pour ses partisans mais qui, selon ses détracteurs, sert de cache-misère, dans une campagne pour l’investiture démocrate où les électeurs ne manqueront pas de choix, à un programme flou et sans positionnement idéologique fort. Celui d’un candidat dont “chaque déclaration sonne comme une légende Instagram”.
Adolescent, à la fin des années 1980, O’Rourke participait, sous le surnom de Psychedelic Warlord, aux activités d’un groupe de hackers, Cult of the Dead Cow. Dans un texte, il se moquait alors des “ultra trendies” qui hantaient la scène alternative et “surjouaient le mode de vie punk”, croyant être encore cools en citant les Sex Pistols. Le candidat O’Rourke, c’est sûr, est trendy – il est d’ailleurs celui qui a reçu le plus de dons pour le lancement de sa campagne. Reste à voir s’il a vraiment du fond. Comme un groupe dont on sait qu’il a du style et les bonnes références mais dont on attend encore d’entendre les chansons
{"type":"Banniere-Basse"}