Avec Noir Désir, Bertrand Cantat a sillonné le pays tout au long de l’année. Une belle tournée sans fin qui fut l’occasion de prises de position, entre autres à Toulon ou à Bordeaux lors d’un concert-forum citoyen, mais aussi de nombreuses rencontres avec ceux qui animent une vie démocratique par ailleurs apathique.
En raison de cette connaissance en profondeur du terreau alternatif et associatif, mais aussi de son intérêt pour les luttes locales et les bagarres globales, nous avons proposé à Bertrand Cantat de travailler avec nous à ce numéro de fin d’année. Une année marquée par le regain d’intérêt de nombreux artistes pour la chose publique et la recherche de nouvelles formes d’implication, radicales mais plus humbles. Avec une interrogation permanente : comment faire cohabiter création artistique et engagement politique, bonheur privé et action publique. Peut-être moins importants que ceux entre médias et pouvoir (1), mais pour autant pas déniés d’intérêt, les rapports entre « journalistes » et « artistes » surtout s’agissant du rock sortent rarement des sentiers battus. C’est en l’occurrence ce que nous essayons de faire dans ce numéro. Les Inrocks m’ont proposé de participer à leur rédaction, ce qui a abouti simplement à la discussion des sujets que j’aurais envie d’aborder, sachant qu’il s’agit d’un numéro rétrospective concernant l’année 97, qui avait la particularité d’être marquée par un renouveau de, disons, l’engagement des artistes dans la vie publique.
C’est autour de cet axe que nous avons donc choisi de tourner. Les sujets ont évolué au fur et à mesure des discussions, des prises de contact, des disponibilités… En tout cas, j’ai décidé de participer, de collaborer, diront certains… On pourra dire d’ailleurs que je me fais de la pub, que Les Inrocks se servent de moi pour vendre leur canard, on peut sournoisement faire des remarques lumineuses du type « chacun chez soi et les vaches seront bien gardées », on peut surtout se demander si ce type de rapprochement ne peut pas virer au copinage et altérer les éventuelles critiques futures qui toucheraient au groupe ou à moi-même et pourquoi pas à la cohorte de nos potes et à la famille de leurs connaissances sur sept générations. Ça m’étonnerait, ce serait mesquin. Tomber dans l’extrême inverse pour se dédouaner serait tout aussi ridicule. De toute façon, je n’ai aucune envie de rester sur ce genre de fixations paranoïaques, on partira donc du principe qu’on vaut un peu mieux que ça.
Non, ce qui, modestement, peut avoir de la valeur dans cette histoire, c’est de bosser ensemble dans une situation et un contexte différents et surtout, au-delà, de redonner la parole à d’autres, de la faire circuler. C’est une occasion pour se rencontrer, débattre, faire le point. Cela reste éminemment subjectif, il aurait pu y avoir beaucoup d’autres personnes, groupes ou associations qui méritaient d’être interpellés, mais ceux et celles qui sont dans ce numéro se sont, disons, trouvés sur notre passage et nous ont paru fondamentaux, ici et maintenant.
On aurait pu à cette occasion laisser plus de place à la légèreté, au ludique, à l’artistique pur, à l’esthétique, à l’humour, à l’amour ; mais pour l’heure, c’est une sorte de droit à l’essentiel qui ne prétend pas à l’exhaustivité et ne se prend pas trop au sérieux. En bref, le dénominateur commun c’est l’engagement bien sûr, c’est la lutte sans doute, et c’est la certitude que si cette notion de lutte est toujours centrale, elle revêt des formes multiples et jusqu’à preuve du contraire, les voir s’articuler ne manque jamais d’intérêt. Tous ceux qui participent à ces interviews, rencontres ou tables rondes semblent préférer la station « debout » à celle de « couché pas bougé », même s’il y a un temps pour tout. Allez, lâchons les grands mots, citoyenneté, résistance même. Sûrement, et pourquoi pas puissances de vie, pulsions de vie, touche au coeur et pas seulement à la tête ?
Il devait y avoir un entretien avec Armand Gatti, ça n’a pas été possible pour l’instant. Mais j’espère que le journal lui consacrera plus tard un article, car il représente un peu tous ces éléments et puis, surtout, le verbe en action comme l’action par le verbe. Il y a d’abord affirmation de la vie dans la parole et la démarche de gens aussi différents que ceux d’Assassin, du MIB, de Claire Denis et de Patrick Cahuzac dans leur soutien aux sans-papiers, de Charlotte Darnal, « zapatiste » locale, de Riccardo Petrella et, pour leur connaissance des rapports entre l’Algérie et la France, de Benjamin Stora ou de René Vautier, à la vie incroyable et à l’engagement cinématographique constant.
Ma participation à cette édition rejoint aussi le souci d’une mise en valeur de certaines positions qu’on peut qualifier de perpendiculaires sur l’immigration, la politique, l’économie, les trous de mémoire typiquement français et la société en général, positions qui par leur pertinence peuvent aider à se désengluer de la fameuse « pensée unique », le soi-disant « principe de réalité » et une certaine lâcheté ambiante si bien étayée par cette si géniale découverte des nouveaux philosophes et de la plupart des médias : les révolutions finissent mal. D’où, conclusion, « couché pas bougé » ; pas si simple, messieurs dames, car il s’agirait de s’intéresser aussi à ce qui fait que les révoltes s’enracinent et se légitiment. Artistes ou non artistes, les gens rencontrés pour cette occasion sont des puissances de vie. Ils aident à tenir. On pourrait même dire que dans une certaine mesure et par un effet pervers, ils peuvent conforter le système dominant en offrant des soupapes, dans le même temps qu’ils appellent à la prise de conscience et à la révolte et même qu’ils confortent l’extrême droite, pendant qu’on y est. Des paradoxes à ajouter à la complexité ambiante. Mais basta !!! Puisque le temps nous est compté, on ne peut pas éternellement se figer sur ce type de contradictions et de doutes. Il faut bien avancer chacun à sa manière. Pour ma part et pour l’instant, je suis plutôt heureux de participer à ce genre d’expérience.
1. A lire absolument, à ce sujet, le bouquin de Serge Halimi, Les Nouveaux chiens de garde (Liber/Seuil).
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Bertrand Cantat
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