Il y a dix ans, Benjamin Paulin était un rappeur. Il largue définitivement les amarres avec 2, un album nourri de réflexions sur le chemin qui conduit du rap à la pop. Critique.
Le premier album de Benjamin Paulin était un disque du passé. Sur L’Homme moderne (2010), le chanteur au verbe cynique et distant récitait une culture datée. D’une part parce que tout, de l’imagerie à la production, ancrait le disque dans les sixties (cordes à la Gainsbourg, 4/4 trépidants hérités de l’Amérique pré-funk…), mais aussi parce qu’il parvenait mal à masquer un passé de rappeur dont il cherchait pourtant à se défaire. Jusqu’au bien nommé Suicide commercial (2009), Benjamin Paulin était en effet connu sous le nom de Vrai Ben, fine lame du groupe de rap Puzzle. Une épopée vivifiante mais parfois frustrante, dont L’Homme moderne sonnait le glas : “J’en avais ras-le-bol du rap, j’étais usé par le milieu, par ses codes, par ce côté fasciné par la banlieue. J’étais dans un souci de renouveau”, dit-il aujourd’hui.
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Il faut dire que ce Vrai Ben, blanc comme un linge, a vécu son rap français de traviole. Challenger dépigmenté dans un univers noirci, le Puzzle a souffert de lieux communs qui voulaient que le rap soit une musique basanée : “Je me suis souvent senti très incompris. On était blancs, donc à part, ce que d’autres groupes comme Svinkels ou TTC ont compris en se cherchant un créneau. Nous, on ne s’est jamais posé la question, on faisait juste du hip-hop. Ce refus d’admettre qu’on devait faire un choix a fait notre force auprès du public, mais c’est ce qui nous a perdus commercialement.”
Le quatuor a en effet vu des directeurs artistiques lui fermer la porte et des réalisateurs refuser de tourner ses clips : “trop blancs”. Mais on ne guérit pas si vite de ses tics microphoniques : malgré le systématisme de cette démarche d’éloignement, L’Homme moderne regorgeait de stigmates, entre un flow rap prenant régulièrement le dessus et un goût prononcé pour la punchline. Ce n’était qu’un début. Car chez Paulin, la volonté de quitter le rap n’est pas motivée par ces seuls souvenirs frustrants. Elle ne se limite pas non plus à cette fascination ridicule qu’ont parfois les rappeurs pour la grande musique populaire, qui les conduit à se frotter périodiquement au rock, à la pop ou à la variété avec plus ou moins de fortune. Au contraire, ce chemin procède ici d’une vraie réflexion. “En somme, je me suis toujours étonné d’avoir envie de chialer en entendant chanter Balavoine et de ne rien ressentir en écoutant IAM, alors que j’adore Akhenaton.”
Aux textes de rap illustratifs, aux punchlines imagées bordées d’un verbiage qui alourdit ces démonstrations parfois très scolaires, Paulin cherche une alternative : “Quand c’est trop formulé, trop précis, ça ne parle qu’au cerveau. Je cherche un juste milieu, une émotion intelligente qui fasse aussi fonctionner le cœur.” La solution est dans l’économie : insinuer, suggérer, faire ressortir une émotion qui ne soit pas entièrement dévoilée par le texte : “J’ai cherché à contourner cette confrontation qui existe dans le rap, où le texte écrase la musique. A part chez les grands freestylers qui dégagent quelque chose sans que le texte ait forcément du sens, c’est omniprésent.” En cela, le langage pop lui convient : une matière plus suggestive que démonstrative, une aptitude à créer l’ambiance en trois mots, emportant l’adhésion sur le fil de mélodies imparables. Ce minimalisme savant qui permet d’apprécier Busta Rhymes ou les Beatles sans forcément en saisir les paroles.
Dont acte : 2 est un disque de pop, un théâtre où le verbe se fait économe, au service de tableaux flous, intimes, parcourus d’errances nocturnes et de fleurs en plastique, de faux seins et de maux au cœur, et d’une forme de nostalgie terriblement masculine dont l’écriture ouverte rend l’origine incertaine. Dans le morceau Produits dérivés, il ne reste dans l’appartement que les souvenirs d’une histoire, des bouts de vécu, un mug, une photo : “C’est de l’amour, mais peut-être pas. A l’origine, c’est une vision de l’enfance, une vision de toi avec tes convictions, ton utopie, ta révolte, et ce qu’elle devient quand tu as 30 ans. On a l’impression qu’il est question d’une femme, que cette perte est amoureuse, mais elle est tout autant une perte de soi.” Le timbre chaud, la fausse naïveté et la délicatesse de la diction font le reste, dans des refrains efficaces qui font de 2 une splendide livraison de pop française en même temps qu’un des cross-over les plus radicaux – et réussis – de la décennie.
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