Revenant à la mélancolie et à la sobriété de Sea Change, Beck signe un magnifique album de folk contemplatif. Critique et écoute.
Est-ce parce que Modern Guilt, son dernier album impeccablement produit par le grand manitou Danger Mouse, était passé plutôt inaperçu qu’on avait un tantinet oublié Beck ? Le disque, paru il y a six ans, alignait pourtant une belle tripotée de morceaux psychédéliques.
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Depuis, Beck a pris le temps de s’amuser. On l’a vu s’offrir une parenthèse, rigolote quoique mineure, en publiant un disque uniquement sur partitions, choisissant l’humour et le décalage comme réponses possibles à la dématérialisation de la musique. A ceux qu’intrigue encore ce drôle de projet, on conseillera de chercher la réponse sur la toile : certains musiciens amateurs se sont amusés à se filmer jouant le disque (l’Américain l’a lui-même joué sur scène, accompagné notamment par Franz Ferdinand).
On a aussi vu Beck se produire sur la scène de la Cité de la Musique en juillet dernier, le temps d’un concert un chouïa bordélique. On l’a vu, enfin, mettre ses talents de réalisateur au service de musiciens dont les noms riment : il a produit les albums de Thurston Moore et de Charlotte Gainsbourg. La critique a salué ces travaux, sans pour autant reposer sur la tête du musicien la couronne de petit génie de son époque qu’elle lui avait décernée au soir du XXe siècle.
Un retour aux sources dépouillé de tout artifice
Dans les années 90, fort d’un quadriptyque éclatant (Mellow Gold, Odelay, Mutations, Midnite Vultures), le musicien incarnait en effet le meilleur du songwriting américain, capable d’agencer des traits d’union improbables entre les styles et les époques, parlant couramment le rock, le funk, le rap, le folk et le blues, conjuguant au futur aussi bien qu’au passé. Sea Change, album mélancolique inspiré d’une rupture sentimentale, se chargea alors d’achever ce qui constitue pour beaucoup le chapitre le plus passionnant de l’histoire beckienne.
Ceux-là seront ravis : Morning Phase reprend les choses là où l’Américain les avait laissées en 2002. C’est un peu Sea Change, le retour : un disque sans artifices, sans funk ni pop, qui ne danse pas, ne gigote pas, s’écoute au coin du feu. Un album sobre et contemplatif qui ressemble moins à une succession de chansons qu’à un unique et long morceau envoûtant dans lequel le musicien renoue avec une tradition d’écriture folk à l’américaine.
Neil Young comme père spirituel
Lui-même expliquait dans un entretien à un magazine américain s’être inspiré de l’histoire musicale de la Californie, et plus particulièrement de celle des Byrds, de Gram Parsons et de Neil Young. De Loser au Loner, il n’y a d’ailleurs qu’un pas et on pense en effet souvent à Neil Young dans Morning Phase : mêmes ballades hantées (Waking Light), mêmes orchestrations (pedal steel, harmonica…), mêmes harmonies vocales que chez Crosby, Stills, Nash & Young (Turn away)… On irait même jusqu’à entrevoir la filiation entre les deux musiciens en scrutant les mots aujourd’hui choisis par Beck : Blue Moon ou Don’t Let It Go ressemblent à des titres de chansons de l’aîné.
Young apparaît ici comme le père spirituel de l’Américain, mais son vrai papa est là aussi. David Richard Campbell dirige les cordes et les cuivres qui rehaussent cet ensemble somptueux, d’où s’échappe, s’il fallait n’en retenir qu’une seule, une vraie pépite : Blackbird Chain, nichée au cœur du disque, est peut-être, avec son petit piano parfait, la plus belle chanson écrite par le musicien depuis douze ans. A ceux qui douteraient encore de la responsabilité du monsieur dans le paysage sonore actuel, elle cloue le Beck.
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