Après des années d’errance aux Etats-Unis, l’Américain BC Camplight a trouvé refuge à Manchester pour y enregistrer un formidable disque pop aux reflets soul. Rencontre, critique et écoute.
« On a beau s’y entraîner, on ne s’habitue jamais vraiment à prendre des poings dans la gueule.” Brian Christinzio est un trentenaire originaire de Philadelphie, qui dans sa vie a encaissé pas mal de coups. Des vrais d’abord. Après le lycée, le garçon est monté sur le ring, marchant dans les pas de son idole Mohamed Ali. Sur les trente-quatre combats de boxe qu’il a disputés, Brian a connu vingt-sept victoires.
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La musique comme échappatoire
Les défaites, pourtant, il connaît bien. La plupart des coups encaissés par le jeune homme furent de blues ou de bambou. Derrière un physique de rugbyman, Brian a le coeur très fragile, ce qui lui a valu de passer de nombreuses années reclus chez lui, le moral dans les chaussettes, à tenter de vaincre crises d’angoisse et dépressions à répétition.
“Je me suis souvent senti très mal, je suppose que je ne suis pas vraiment normal… (rires) J’ai connu de longues périodes très sombres, à ne plus pouvoir parler, à m’asseoir et passer la journée la tête baissée, à regarder mes mains. J’ai tout essayé, j’ai vu tous les docteurs de la planète, j’ai fait du sport, j’ai pris des trucs…”
La musique, aussi, a été une échappatoire. En 2005 et 2007, sous le nom de BC Camplight, Brian Christinzio a sorti deux jolis disques, des recueils de pop-songs tarabiscotées sous influence Beach Boys.
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Dans l’attente du succès
Si les critiques furent élogieuses, le succès commercial, hélas, ne fut pas au rendez-vous.
“J’étais très heureux de lire des choses positives à mon sujet, mais j’aurais préféré que les magazines me donnent de l’argent ! J’ai vite déchanté. Tout a basculé dans ma vie : mes relations amoureuses, mes amitiés, ma carrière. Je me suis retrouvé complètement paumé, et bientôt sans domicile.”
Avec les quelques amis qu’il lui reste, Brian découvre alors une vieille église abandonnée en banlieue de Philadelphie. Il n’y a pas l’électricité mais peu importe : il s’y installe, couchant la nuit sur un vieux matelas militaire.
“C’est là que j’ai touché le fond. C’était d’autant plus dur que je voyais quelques-uns de mes amis avec qui j’avais joué de la musique auparavant commencer à avoir du succès. Comme The War On Drugs par exemple. Je suis devenu jaloux. Au fond de moi, je me savais capable d’écrire de bien meilleurs disques.”
L’influence de Manchester
Dans le froid de cette église abandonnée, Brian entrevoit un jour la lumière : il trouvera son salut de l’autre côté de l’Atlantique. Parce qu’il y a plus tôt donné une série de concerts dont il garde un bon souvenir, l’Américain décide de mettre le cap sur Manchester pour y enregistrer un nouvel album. Dans la cité du nord de l’Angleterre, il retrouve quelque chose de Philadelphie.
“On dit souvent que Philadelphie est une ville dure car c’est le petit frère casse-cou de New York. J’ai un peu retrouvé de ça à Manchester, qui est comme la petite soeur teigneuse de Londres.”
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De l’histoire culturelle de la ville, l’Américain ne connaît rien. Les Smiths, Oasis, Manchester United… tout le laisse indifférent.“Je vois en quoi ces noms font partie du patrimoine local, mais ça ne me touche pas.” Ceux qui le touchent, en revanche, sont ceux de Jerry Lee Lewis, Harry Nilsson, Brian Wilson… “J’ai remarqué que j’aimais quand les garçons chantent avec une voix aiguë.” Le musicien a aussi été biberonné à Hall & Oates, Billy Paul et autres représentants de la Philly Soul, dont les vinyles tournaient sans cesse dans le salon familial.
Le plus grand disque de pop jamais écrit
De ces influences diverses, le garçon a développé une largesse d’esprit qui irrigue aujourd’hui How to Die in the North, un troisième album ouvert et pop au sens large du terme. Dans une vieille maison de Bredbury, en banlieue de Manchester, Brian Christinzio a passé deux ans en apnée à enregistrer, composant ses chansons pour mieux les décomposer ensuite, revenant sans cesse à ce qu’il pensait avoir terminé. Résultat : neuf chapitres pop impressionnants et complexes, aux virages et ricochets trop variés pour qu’on puisse les étiqueter aisément.
Il y a notamment là l’époustouflant Love Isn’t Anybody’s Fault, avec un refrain en cascade d’harmonies dont ne rougirait pas Brian Wilson. Il y a aussi le groovy Just Because I Love You, trésor de soul sans âge. Véritable constance dans ce disque élastique, un véritable sens mélodique hérité d’un apprentissage du piano dès l’âge de 4 ans. “Je voulais enregistrer le plus grand disque de pop jamais écrit”, résume l’intéressé en riant. C’est déjà un grand disque pour commencer l’année.
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