Retour après six ans sans
album de l’injustement ignoré
Baxter Dury. Le drôle et
brillant Happy Soup pourrait
être le disque qui, enfin,
cassera la baraque. Critique et écoute.
A genoux comme devant Marie à Lourdes, le bigot aurait immédiatement appelé le Vatican : Baxter Dury est de retour, et c’est un miracle. Car on l’a cru perdu, ce génie de l’ombre que l’on admire jusqu’à la pâmoison pour son premier Len Parrot’s Memorial Lift en 2002 et pour Floor Show en 2005. Deux chefs-d’oeuvre – on pèse nos gigalatifs – et autant de naufrages : au total, le Londonien, fils du légendaire Ian Dury, a dû vendre, poussons un peu, une quinzaine de chacun de ses deux disques. Qui ne sont, horreur, même plus disponibles sur iTunes, et qu’on a pu voir un jour vendus un dollar par un soldeur du net.
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Mais le lascar est aussi un Lazare : six ans après, Dury est de retour, en très grande forme. “J’ai vu quelques batailles, traversé des guerres, j’ai regardé la mort dans les yeux”, se marre l’élégant cockney, fatigué par un lendemain de cuite, mais toujours aussi brillant et clownesque, blagueur et hâbleur, accompagné par la splendide Madelaine Hart, avec qui il a cuisiné Happy Soup. “Je crois que tout artiste connaît, à un moment de sa vie, un pic de créativité. Ça peut venir de beaucoup de choses, de l’ambition, de l’énergie, de choses vécues. Il est possible que ce soit le cas pour moi en ce moment. Ou pas, d’ailleurs. Mais j’ai l’impression d’être dans une période très favorable.”
Pendant l’éclipse, de loin, on a suivi les pérégrinations du bonhomme sur sa page Facebook. Il a d’abord peu été question de musique mais, plus bizarre, du marathon de Londres. On avait cru à une blague, à un épiphénomène, au caprice d’un préquadra en rédemption hygiéniste. On s’était planté : tout est (re)parti de là. “Courir et finir le marathon m’a réappris le goût de l’effort et de la récompense : il faut se concentrer et fournir beaucoup d’efforts mais c’est simple, mesurable, il y a un départ et une fin. Ça m’a permis également de savoir que rien n’était impossible : ça a rallumé la flamme, et je me suis remis à écrire.” Débarrassé, au surplus, de la pesante ombre de papa par la participation à son bien nommé biopic Sex & Drugs & Rock & Roll (“Je suis génétiquement de toute façon proche de lui : autant vivre avec et passer à autre chose”), Dury s’est remis au boulot.
Sacré second souffle : il a produit l’excellent album du Français Alister, a écrit quelques demos, s’est fait, malgré un passé commercial rachitique, signer par une major, puis a enchaîné avec Hart sur l’écriture d’un disque entier, Happy Soup. “Je voulais qu’il ait de l’âme. Quelque chose de soul, mais une soul britannique, dysfonctionnelle. Je voulais qu’il reflète ce que je suis réellement, de manière honnête, sans forcer quoi que ce soit. Ma voix en particulier : je ne chante presque plus, ou pas de la même manière. Sur les deux précédents albums, c’est comme si j’avais subi une opération extraordinairement compliquée de la gorge pour pouvoir le faire, avec six tubes sortant de chaque côté de mon cou et la greffe d’une douzaine de castrats. Madelaine a avantageusement remplacé ces douze eunuques… Happy Soup, c’est la juxtaposition d’un garçon qui parle, souvent de lui-même, à tel point que les gens que je cite pourraient me traîner en justice, mais dont le parler est contrebalancé par les mélodies et harmonies de Madelaine.”
Mâle et charnel, enlacement sexy de sa voix grave et des caresses vicelardes de sa Jane B. à lui, intime et cul et cru, Happy Soup est, somme toute, un album très gainsbourgeois – Dury admire le Français. Il est pourtant anglais jusqu’au bout du tongue-in-cheek, rappelant parfois Pulp, Gorillaz ou Stereolab, selon qu’il se gonfle de pop colorée ou se frotte à un krautrock chamallow (les imparables Claire, Isabel, Leak at the Disco, Picnic on the Edge ou Trellic, les plus tordues Happy Soup, Hotel in Brixton ou The Sun).
Produit par Craig Silvey (Arcade Fire, Arctic Monkeys), à la fois patraque et vitaminé, blême et bronzé, Happy Soup est minimal dans ses effets (l’influence distante de Geoff Barrow de Portishead, copain de toujours), mais bourré de beautés fabuleuses, enfumé dans ce que Dury appelle un “psychédélisme de bord de mer”. Happy Soup est Baxter Dury : drôle, charmant, excitant, élégant. L’un des meilleurs du moment, depuis longtemps.
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