Fils de Ian Dury mais héritier de Lou Reed, Baxter Dury continue d’explorer une pop sombre et psychédélique, hantée de personnages troubles. Pour lesinrocks.com, il revient sur cette étrange filiation et son nouvel album, Floorshow, dans une longue interview en deux parties. En prime, trois titres de l’album en écoute.
Quelles sont tes influences, musicalement ?
Des millions de choses. Je ne sélectionne pas vraiment, les choses ont plutôt tendance à venir jusqu’à moi. J’écoute beaucoup de groupes modernes, contemporains ; j’essaie de ne pas nier ce qui se passe, contrairement à beaucoup qui préfèrent haïr tout ce qui arrive. J’écoute tous les groupes indé britanniques, j’y trouve beaucoup de choses intéressantes, les White Stripes’ Il y a toujours de bons groupes qui arrivent. Quoiqu’on puisse dire, un bon groupe est un bon groupe, c’est tout. Même des groupes que je déteste, ou que tout le monde aime détester, par snobisme, peuvent être excellents et efficaces. Je pense que Coldplay est un grand groupe, avec un grand chanteur, des mélodies épatantes. Je n’ai rien à voir avec eux, mais je trouve ce qu’ils font parfaitement exécuté, brillamment conçu. On ne peut que le reconnaître, et je ne peux qu’espérer faire d’aussi bonnes chansons. Ils sont bons, et c’est la seule raison de leur succès.
tu envies un tel succès ?
Un peu, évidemment. Mais quand même pas ce niveau de succès, je détesterais probablement ça. Ca peut se transformer en une punition. Mais putain, on a envie d’être aimé, non ? Avec une grosse fortune, je pourrais m offrir un sous-marin, je serais heureux comme ça.
Londres est aussi une influence, pour toi
Oui, une influence majeure. On perçoit et décrit ma famille comme étant cockney, mais c’est totalement faux. Nous sommes des gens de la classe moyenne, éduqués. Comme les Clash ; c’est toujours la même histoire. Mais papa représentait assez clairement le Londres populaire, il parlait beaucoup avec des airs cockney. Et je parle aussi parfois avec un accent cockney. Les gens de la seconde génération sont souvent comme ça, ils nourrissent des complexes vis-à-vis de leur condition de petits cons de la classe moyenne. Ils ont besoin de s’intégrer à la culture urbaine. C’est ce que je fais.
Les atmosphères de tes chansons peuvent paraître étrange, ésotérique. Es-tu d’accord ?
Oui. Je ne sais pas d’où ça vient. Ce son est probablement planqué quelque part en moi, dans mon c’ur. J’écris une chanson normale, j’en suis heureux, puis quand je la développe, elle prend toujours cette tournure assez différente. Je m inquiète beaucoup de ma voix, et je cache peut-être cette inquiétude derrière ces atmosphères et paysages particuliers. J’aimerais que le prochain album sonne plus crûment, avec des singles basés sur la voix. Parce que jusque là, d’une certaine manière, j’ai plus l’impression d’orchestrer de la musique que d’écrire des chansons. J’aime ce que j’arrive à faire, mais je sais comment c’est fait, je ne surestime pas le processus. Je suis derrière le rideau, je sais comment j’arrive à cette psychologie musicale particulière. Je connais la sorte de tricherie qui emmène une chanson de ce qu’elle est à l’origine à ce qu’elle donne une fois enregistrée. Je suis satisfait de terminer les choses, mais quand j’entends le travail des autres, je me dis « putain, ce que c’est bon »? C’est indispensable, selon moi, d’être toujours insatisfait de ce que l’on fait.
Mais tu me parlais de confiance en soi, et tu sembles un peu douteux quant à tes propres capacités’
Non, non, non. Je suis très conscient de mes propres capacités et qualités. Mais, simplement, je connais le processus qui les utilise et je suis honnête. Beaucoup semblent, dans ce qu’ils disent sur leur art, être menés par une sortie de magie : c’est des conneries ! Il faut quand même être dans un état d’esprit qui fournisse une certaine confiance en soi. Sinon, on n’y arrive pas. Ca peut-être intéressant à voir, les gens qui doutent. Et on peut faire des trucs intéressant même en doutant. Disons que je me connais bien, tout simplement. C’est la seule chose qui puisse sauver les gens dans ce monde de dingue : se connaître soi-même. J’ai 33 ans, je n’ai pas envie d’avoir l’air d’un jeune cow-boy aux dents longues, je n’essaie pas de paraître un jeune type énervé, de mettre de l’héroïne entre mes oreilles. Je fais juste avec ce que je suis. Il y a tellement de mecs qui mentent quant à ce qu’ils sont C’est n’importe quoi.
Pour revenir à l’atmosphère que créent tes chansons : tu as été, depuis que tu es enfant, en contact avec la maladie ; la polio puis le cancer de ton père notamment. Est-ce que cela a influencé tes chansons ?
Ma mère est morte également, j’avais 23 ans. C’est aussi quelque chose de primordial dans ma vie. Et j’ai vu pas mal de morts autour de mes parents, aussi, c’est devenu une habitude. Mais je ne pourrais jamais faire de lien clair entre la musique que je crée et la maladie. Je n’essaie pas de créer la maladie. Même si la mort est parfois présente dans mes chansons, je ne pourrais jamais écrire à propos du décès de ma mère ou de mon père. Mon songwriting n’est pas encore assez bon pour en parler. Peut-être écrirai-je un livre, plutôt
Et les aspects psychédéliques de ta musique, d’où viennent-ils ?
On a souvent l’impression que le psychédélisme est né dans les années 60, avec des types sous acides qui faisaient faire des scoubidous à leurs guitares. Mais la musique a toujours été psychédélique, de tous temps. Je suis un peu ennuyé quand les gens font le lien entre le psychédélisme et l’explosion des drogues. La musique a toujours été sacrément bizarre, non ? Je ne sais même pas exactement ce que « psychédélique » signifie Parlons plutôt d’espace, quant à ma musique ; j’essaie de mettre un peu d’écho. Je ne sais pas. J’essaie souvent de me relier à une sorte de soul blanche et lente, mue par l’âme, ensuite ça me mène où ça me mène, je ne sais pas.
Quel est le meilleur état pour écouter ta musique ?
Je n’ai jamais pris d’héroïne, mais j’imagine que ça serait peut-être pas mal. Le truc, c’est que je pense toujours être en train de faire un album de rock’n’roll rapide et sauvage. Mais ma nature prend le dessus, sans même que je m’en rende compte. Puis j’écoute mon disque, et je le trouve lent et mou. J’aime ça, mais je me demande pourquoi je n’y arrive pas, ça me trouble
Quelle est ta philosophie quant à la pop music et l’expérimentation ? Dans quel domaine as-tu l’impression de verser ?
J’aime la pop. Je trouve important d’essayer de rendre sa musique aussi populaire que possible. Je suis un amoureux de chansons, j’aimerais en écrire de grandes, comme Coldplay. Si l’expérimentation prend le pas sur les capacités du songwriter, alors c’est simplement une vaste blague. Je ne supporte pas les choses laides. Mais ceux qui peuvent trouver l’équilibre, combiner les deux, sont les plus passionnants. Mais comme on disait à l’instant pour le psychédélisme, c’est une manière très étroite de parler des choses. Les White Stripes sont un groupe extrêmement populaire, et pourtant, quand on les écoute attentivement, en dehors de toute cette célébrité qui les rend accessibles à tout le monde, ils sont sacrément étranges ! Malgré cette étrangeté, ils ont simplement réussi à traverser le pont qui mène au mainstream C’est génial, ils le méritent totalement. Ils ont mystifié tout le monde. Et la frontière entre ce qui est expérimental et ne l’est pas bouge en permanence : ce qui relevait il y a quelques années de l’expérimentation pure est aujourd’hui totalement accepté. Ca peut aussi marcher dans l’autre sens, d’ailleurs’
Quelle était ambition avec Floorshow ?
J’ai passé un temps dingue à essayer de faire quelque chose de différent, de changer de perspective. Quand je réécoute le premier album, il y a des choses que j’apprécie, mais d’autre que je ne supporte tout simplement pas. On veut s’améliorer, on cherche ses points forts, on essaie de les exploiter à fond. Ce que j’ai échoué à faire sur le premier album, j’ai tenté de le rattraper sur le second, grâce à ce que j’ai appris depuis. J’ai notamment appris que plus j’essayais d’être simple, plus j’essayais d’étouffer mon angoisse, meilleur j’étais. J’ai aussi essayé de faire les choses de manière un peu plus dure et directe ; d’une certaine manière, de m approcher plus près de la pop music.
Que s’est-il passé entre Len Parrot’s Memorial Lift et Floorshow, dans ta vie ?
Les bébés. Même si je me suis séparé de la femme avec laquelle j’ai eu cet enfant, qui a maintenant trois ans, beaucoup des chansons de cet album ont été écrites alors que je m occupais d’un enfant. Ca change la vie.
Tu avais reçu de bonnes critiques pour Len Parrot’s Memorial Lift, comment as-tu ensuite envisagé sa suite ?
Tu sais, je suis un peu taré. Je ne trouve jamais que les critiques sont bonnes. Je suis un peu cynique. Mais bon, c’est vrai que j’ai lu quelques bonnes critiques’ Et encore, à chaque fois que je les lisais, je réussissais à y trouver quelque chose qui me rendait dingue. Je ferais mieux d’éviter de les lire, tout simplement. Globalement, c’était plutôt bon, mais ça n’a absolument pas eu d’impact sur les ventes. Putain, je n’ai pas vendu un disque ! Il faut être cynique et essayer de ne pas y penser. L’industrie de l’amusement peut être une sacrée plaie : tu essaies d’écrire des bonnes choses, mais avec la pression constante du résultat ; si ça ne va pas, quelqu’un va venir t éjecter brutalement du studio Tout le monde t expliquera qu’ils sont sur des labels amis, que leurs boss sont leurs meilleurs amis, mais à un certain point, il faut quand même provoquer un peu de succès et vendre des disques. C’est une belle source d’inquiétude.
Est-ce pourquoi tu essaies d’être plus direct, plus pop ?
Oui, effectivement. Mais c’est quelque chose que j’ai toujours essayé de faire. Après, je fais selon mes moyens, et je ne peux pas les transformer. Mais c’est le mouvement, effectivement. C’est difficile de dire ce que je veux faire avec Floorshow. Je veux que les gens l’aiment. Parce qu’il est génial. Qu’on me dise que je suis génial. Et alors je serai heureux, pendant 10 minutes. Je suis aussi sur quelques projets, j’aimerais écrire pour d’autres. C’est en route, rien de très précis ; on en parle par exemple avec Pete Doherty. Peut-être un film, également. Les choses vont très vite dans ce milieu. Il s’est passé tant de temps entre le premier et le second album que les gens ont tendance à t oublier, tu disparais de leurs vies’ Il faut forcer les choses.
Dans quelles conditions ont été écrites les chansons ?
Des conditions un peu dingues, il faut le dire. Pas forcément pour moi, mais la drogue circulait un peu dans le groupe. On était tous ensemble dans une maison à Bath, Il y avait aussi des gens de Spiritualized, et les choses sont parfois devenues un peu trop folles pour moi. On était très près d’un pub, nous y avons en fait écrit l’album. La bière y était gratuite pour nous’ Ca a pas mal joué. On s’est amusés, on s’est engueulés, on a pris des drogues ; enfin, pas moi, j’ai essayé d’éviter Il fallait que quelqu’un conserve les pieds sur terre.
Quelle influence cela a-t-il eu sur l’album ?
Je n’ai jamais pensé que la drogue pouvait rendre la musique meilleure. On en revient au psychédélisme. Il n’y a jamais eu de bonne musique créée sous acide ou sous héroïne, c’est des conneries. Les gens sont brillants ou ils ne le sont pas, les drogues n’y peuvent pas grand-chose. Jim Morrison n’écrivait pas ses meilleurs morceaux complètement défoncé. Sous héroïne ou sous acide, on ne peut même pas appuyer la pointe d’un crayon sur un papier ! On va dormir, c’est tout ! Ou tu claques, ça tue les gens ! Pete Doherty est en train de ruiner son talent, c’est pourtant un type absolument brillant ; même le dire est un peu stupide du fait de sa célébrité, c’est un songwriter hors pair, doté d’une voix incroyable !
Comment comparerais-tu les deux albums ?
Difficile à dire. Floorshow est probablement plus concis, plus travaillé. On a essayé de le dénuder un peu, pour revenir vers de vraies chansons. Il sonne de manière similaire, mais les chansons ressemblent plus à des chansons. Il est plus conservateur, d’une certaine manière : les choses ont été plus ordonnées. De toute façon, même si on essaie quelque chose de différent, ce que l’on sait le mieux faire finit toujours par ressortir. Je le trouve bien meilleur, mais je me rends compte que les gens qui l’ont écouté ne le trouvent pas vraiment différent du précédent
Es-tu satisfait de Floorshow ?
Oui, ça va. La satisfaction peut mener à la suffisance, et la suffisance à la poussière Il y a de quoi se perdre Je dois me battre pour être satisfait, et pour ne pas être trop satisfait. Je me doute que c’est album ne va pas être un succès massif. Ca me va, je l’accepte. Rough Trade sort de toute façon des disques plutôt arty, pas des bêtes commerciales. C’est de toute façon le cas pour la plupart des groupes que j’aime.
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Avec l’aimable autorisation de PIAS & Rough Trade