Figure montante de la pop-folk de demain, l’Anglaise Bat For Lashes sort un album qui lui ressemble : mystique et bigarré. « Je veux que les sons s’ouvrent comme des fleurs », dit cette aventurière de la musique.
Comme s’il voulait précisément retranscrire la marche naturellement chaotique du vivant, Two Suns affiche sans ambages ses aspérités et disparités – là où Fur and Gold, ce refuge irréel et coupé du monde, imposait d’emblée sa cohérence et sa douceur. De sa voix claire et perchée, hérissée ici d’accents expressifs où la volupté semble se mêler à l’inquiétude, Natasha Khan traverse des paysages à la topographie contrastée, voire accidentée, qui la projettent autant du côté de la pop glacée des années 80 (Daniel) que du blues ancestral (Peace of Mind et son chœur gospel), de la dance aguicheuse (Sleep Alone, Pearl’s Dream) que de l’incantation éthérée (Glass, Siren Song).
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[attachment id=298]De ce maelström sonore, au cœur duquel seule la ballade Moon and Moon renoue avec les ambiances plus feutrées de Fur and Gold, l’auditeur ressort chamboulé, vacillant sur ses appuis, tour à tour charmé et heurté. Il n’en retire à vrai dire qu’une certitude : avec Two Suns, Natasha Khan revendique haut et fort sa place au sein du cercle des empêcheurs de jouer de la pop en rond.
L’apparition spectrale de Scott Walker, qui vient à la fin de l’album pousser l’un de ces brâmes crépusculaires dont il a le secret, agit à ce titre comme un révélateur. Elle dit clairement que l’Anglaise évolue désormais dans une autre dimension, sur cet immense terrain de conquête qui relie la pop et l’avant-garde, les musiques pour tous et les musiques de pointe. « J’admire les créateurs comme Scott, qui essaient de trouver l’équilibre entre mainstream et underground. Même des songwriters réputés comme Lou Reed ou Neil Young ont, à un moment de leur parcours, osé se lancer dans des projets complètement barrés. Je trouve salutaire de suivre leur exemple, dans une époque où la pop grand public ne propose que des produits interchangeables. Aujourd’hui, la programmation des radios anglaises est tout simplement atroce. Dans les années 80, on pouvait entendre les Talking Heads, Prince, Eurythmics, The Cure, Human League, des groupes dont on pouvait discuter les choix esthétiques mais qui avaient des personnalités affirmées – même Duran Duran avait un son et des chansons qui sortaient du lot ! Maintenant, tout semble dépoté du même moule. Il y a encore une musique alternative extrêmement riche, mais c’est sur internet qu’il faut aller la chercher. Je trouve ça regrettable, parce que, personnellement, j’ai fait l’essentiel de mon éducation musicale via la radio. Si j’étais une gamine aujourd’hui, ce médium ne m’apprendrait rien du tout. »
Cette allusion à son enfance, qui fut à la fois solitaire et baignée de musique, n’est pas fortuite. Même si elle affirme avoir perdu une partie de son innocence avec Two Suns, l’Anglaise, aujourd’hui âgée de 29 ans, entretient toujours des relations très étroites avec la petite Natasha qui, devant le piano familial, s’émerveillait à en pleurer devant les sons qui naissaient sous ses doigts. De cette expérience originelle, elle a gardé le sentiment que la musique était pour elle le meilleur moyen d’entrer en harmonie avec l’immensité du monde, avec une réalité bien plus grande qu’elle. Et tant pis si cette vision quasi mystique de son art, associée à la dimension spirituelle dont ses textes se veulent empreints, lui vaut d’être cataloguée au côté de son ami Devendra Banhart parmi les néo-hippies.
« Cette étiquette ne m’importune pas plus que ça, je ne la trouve pas infâmante. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que ceux qui me la collent sur le dos sont de fieffés paresseux… Le mysticisme n’a pas été inventé par les hippies, que je sache. Il existe autant chez certains scientifiques, qui interrogent sans cesse les mystères du vivant, que chez ceux qui, comme moi, peuvent s’émouvoir devant une éclipse de lune ou un coucher de soleil. Beaucoup de gens sont très prompts à être cyniques, à se moquer de ces émotions-là. Moi, je les exprime volontiers à travers ma musique, je n’éprouve pas le besoin de les dénigrer en les rattachant à une époque révolue : elles ont tout à fait leur place dans le monde actuel. Two Suns est bel et bien ancré dans le temps et l’espace où je vis. Je suis convaincue qu’une nouvelle ère est en train de s’ouvrir, propice à des formes de pop plus spirituelles. Et je suis bien décidée à participer à ce mouvement. »
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