Bâtie dans la patience par les meilleurs artisans de France, « La Maison haute » de Bastien Lallemant est un endroit aussi rare et raffiné que son auteur. Un quatrième album d’ombres et de lumières à visiter d’urgence. Rencontre, critique et écoute.
Dès le seuil de La Maison haute, on est d’emblée impressionné par la beauté du lieu, sa majesté gainsbourgienne qui jumelle l’endroit à L’Hôtel particulier de Melody Nelson, pas moins. La voix chaude et posée de l’hôte, qui chevauche des guitares western au ralenti, les cordes qui surgissent comme un orage matinal, l’horizon qui s’entrouvre sur une vallée perlée par une lumière rasante, on pourrait s’en tenir là. A ce Un million d’années qui classe immédiatement le quatrième album de Bastien Lallemant parmi les plus belles réussites de la chanson française contemporaine. Et les onze plages suivantes ne feront que confirmer ce sentiment liminaire.
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Troupe ouverte
Cinq ans après Le Verger, collection de murder ballads déjà empreintes d’une distinction et d’un sens de la mise en scène sonore époustouflants, ce maître en ouvrages raffinés parvient encore donc à faire grimper ses exigences de plusieurs étages, aidé dans son ascension par Jipé Nataf et Seb Martel. Sa Maison est grande ouverte, car en plus des deux réalisateurs on y croise Françoiz Breut, Albin de la Simone, Katel ou Maissiat, pensionnaires réguliers ou occasionnels des Siestes acoustiques, confrérie songeuse dont Lallemant est l’immuable marchand de sable.
Petit rappel : après deux albums sortis durant la première moitié des années 2000, Bastien est remercié par son label de l’époque. Esseulé dans la campagne dijonnaise, conscient d’avoir un peu laissé filer sa chance, il phosphore autour d’une idée de troupe ouverte, qui se réunirait en fonction de la géométrie des emplois du temps pour donner des concerts où chacun aurait tout loisir de s’infiltrer dans la musique des autres. Cet échangisme musical se déroule dans la pénombre, on y pratique une forme somnambulique de partage, et le public – souvent à l’horizontale – se laisse bercer par les fluides qui en émanent.
A plusieurs
Tous les artisans ou presque de la pop d’ici y ont participé (Belin, Les Innocents, Holden, Cherhal, jusqu’à Vanessa Paradis ou Camélia Jordana) et Bastien Lallemant y voit comme “un champ d’expérience” où se fertilise et se régénère en permanence sa haute idée de la chanson.
“Tous les morceaux du nouvel album ont été joués durant les Siestes, et ils ont été nourris par ce que chacun aura pu y apporter. Je ne suis pas quelqu’un qui a beaucoup confiance en lui, j’ai besoin parfois de validation. Une chanson comme Un million d’années, je l’ai jouée un jour dans les loges, à dessein, en attendant que Bertrand Belin, qui traînait par-là, vienne me dire qu’il la trouvait super.”
Charles Berbérian, qui dessine (et joue aussi parfois) pendant les Siestes acoustiques, a illustré de son trait gracile Vacances à Véga, le Journal d’un enregistrement que Bastien Lallemant a tenu pendant les six jours qu’aura duré l’édification de La Maison haute, près de Carpentras. On y devine que l’affaire fut conclue de haute lutte, et que la réussite éclatante du disque possède un hors- champ accidenté, miné par les doutes et les tâtonnements.
Lumière et ombre
L’écriture, également, ne fut pas une simple formalité, car contrairement au Verger et son postulat bien délimité, cette fois Bastien Lallemant naviguait dans les brumes, avec un fil d’Ariane plus fragile :
“Le thème général, c’était la lumière ou l’ombre, je savais que j’allais tourner autour de cette idée et, comme j’écris beaucoup, j’ai dû renoncer à pas mal de chansons pour aboutir à celles qui allaient constituer l’album. Je suis hypersensible à la lumière, et comme j’ai une vie familiale assez remplie, avec trois enfants, j’ai choisi de m’astreindre à une discipline rigoureuse. Je me levais à cinq heures du matin, pour avoir trois heures devant moi afin de composer et d’écrire. Pas mal de chansons ont été écrites l’été, elles ont été imprégnées par la lumière du jour qui se lève.”
Le précédent album contenait des chansons d’horreur, celui-ci des chansons d’aurore, et il aura fallu toute la délicatesse de la paire Nataf/Martel pour leur dessiner une robe sur mesure, avec surpiqûres de guitares en Nylon, orgues en drapé, zébrures électriques et batteries ourlées comme des galops de jeunes chevaux, parfois en vapeur. On songe aussi bien à Lee Hazlewood (Ronde de nuit) qu’à Tom Waits (L’Ombre), et du côté français des océans aux cousins plus abordables que sont Dominique A ou Bertrand Belin. Bastien Lallemant cite la lumière d’Edward Hopper comme inspiration, ou Monika de Bergman pour le fantasme de la fugue qui traverse les chansons. Il insiste aussi sur l’empreinte américaine – tout autant fantasmée – sur sa musique, ou encore sur l’influence de la new-wave, de Cure ou Violent Femmes, sur un titre tout en tension comme L’Attente.
Son écriture à la fois précise et déliée fait alterner les fresques naturalistes (Au loin la côte, le sublime Les Ombres) et les figurines narratives (Les Fiançailles, Scène de crime), les hauts sentiments et les souvenirs à voix basse, achevant de nous convaincre d’une chose : de cette Maison haute, on ne redescendra pas de sitôt.
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